Chapitre 8

Nous avions intelligemment élaboré deux plans. Le plan A impliquait que Visser Three quitte la pièce volontairement tandis que nous restions derrière pour effectuer rapidement une démorphose suivie d'une remorphose. Mais au fur et à mesure que le temps passait et que le Visser ne montrait aucun signe de départ, il semblait de plus en plus probable que nous devions mettre en œuvre le plan B, bien plus risqué.

Ça me convenait. J'étais prêt à faire quelque chose ou à devenir fou. L'inactivité laisse trop de temps pour penser à des choses comme la mort, la destruction, la douleur et la violence. L'inactivité engendre la peur.

Un autre bon moyen de défense contre la peur est l'humour. De mon point de vue, si tu ne ris pas, tu pleures. L'humour comme mécanisme d'adaptation.

En plus, je considère un peu que c'est mon travail de nous détendre dans ces situations. Divertir les troupes.

< Dis, Rachel, j'ai une blague pour toi, > dis-je.

< Non, tu n'en as pas, > répondit-elle.

J'ignorai l'avertissement. < Deux blondes se tiennent de part et d'autre d'une rivière... >

< Hé, > Tobias interrompit. < Rappelle-toi, je suis blond aussi. Peut-être blond cendré, mais blond quand même. >

< Ouais, pendant quelques heures par semaine, > dis-je. < Bref, la première blonde crie à l'autre blonde : "Comment je fais pour aller de l'autre côté ?" >

< C'est très drôle, Marco, > dit Ax avec entrain.

< Je n'ai pas encore raconté la chute, Ax, > répondis-je. < Et la blonde de l'autre côté lui répond : "Tu ES de l'autre côté !" >

< Ça suffit, > dit Rachel. < Temps pour le plan B. >

< Je l'ai déjà entendue, celle-là, > dit Tobias, peu impressionné.

< J'ai peur de ne pas comprendre, > répondit Ax.

< Tobias, où as-tu entendu cette blague avant ? > demandai-je. < Un moineau, une chouette et toi, traînant ensemble et échangeant des histoires ? >

< Ax, as-tu une idée d'où nous sommes ? > demanda Jake.

< Je crois que nous nous dirigeons vers le nord. >

< Toujours vers le nord ? > répondit Jake. < Combien de temps avant que nous devions démorphoser ? >

< Environ vingt minutes, > répondit Ax. < de vos minutes, > ajouta-t-il, avec ce que je jurerais être une provocation délibérée.

< Bien. Plan B. Faisons quelque chose, n'importe quoi. > Rachel. Bien sûr.

< Ouais. Je suppose qu'on devrait, > dit Jake sans beaucoup d'enthousiasme. < Ax, es-tu prêt ? >

< Je le crois, Prince Jake. >

< Bonne chance, Ax-man, > dis-je.

< La jambe de qui ? >

< C'est juste un... laisse tomber. >

Tout devint silencieux pendant quelques secondes. Puis nos cerveaux furent bombardés par le son d'un thought-speak très fort.

< Garde ! Viens ici immédiatement ! > hurla Ax. Une imitation plutôt réussie de Visser Three.

Je sentis une brise remplie de l'odeur d'un guerrier Hork-Bajir.

Le mouvement soudain et surpris de Visser Three ressemblait à un énorme tremblement de terre. Je m'accrochai fermement aux poils que j'avais choisis.

< Que fais-tu, imbécile ?! > cria Visser Three au Hork-Bajir. < Quelle est la signification de cette interruption ?! >

Le Hork-Bajir marmonna.

< Dehors ! > hurla le Visser enragé. < Dehors ou je te donnerai à manger aux Taxxons ! >

Le garde partit.

< Encore une fois, Ax, > dit Jake.

Ax hurla.

Une autre brise. Je sentis un autre Hork-Bajir. Je pouvais sentir Visser Three trembler de rage.

<Quoi ?!> cria-t-il. C'était comme être au premier rang d'un concert des Beastie Boys. Juste à côté des grandes enceintes. Je pensais que ma tête allait exploser.

Une soudaine contraction musculaire. J'ai su à cet instant que le Visser avait claqué sa queue mortelle. Quelques secondes plus tard...

WHUMPF !

Quelque chose de gros a frappé le sol. Je ne voulais pas penser à ce que c'était. À qui c'était.

<Encore une fois, Ax,> dit Jake. Je pouvais sentir son hésitation.

J'avais presque pitié des Hork-Bajirs. Ils ne sont que des esclaves impuissants des Yeerks. Tout ce qu'ils font est sous le commandement des méchants Yeerks dans leur cerveau. En fait, avant que les Yeerks ne les conquièrent, les Hork-Bajirs étaient une race pacifique. Ce sont juste de gros lézards mangeurs d'écorce, un peu bêtes mais vraiment gentils.

Des victimes innocentes dans une guerre qui ne semblait pas en avoir d'autres.

Ax cria une troisième fois et je flairai deux Hork-Bajirs entrant. Je suppose qu'ils pensaient que deux à la fois aideraient.

Ce n'était pas le cas.

Le Visser se précipita, hors de contrôle de rage. Vers les deux Hork-Bajirs, vers la porte. Dehors !

<Tout le monde, dégagez !> cria Jake. <Restez bas !>

Je lâchai prise et fus projeté dans les airs. Je regardai le gros blob bleu disparaître par la porte. La porte se referma derrière lui.

<Démorphez et remorphez aussi vite que possible !> ordonna Jake.

J'atterris sur le sol et commençai immédiatement à démorphoser.

La morphose n'est jamais logique. Elle ne se passe jamais de la même façon deux fois.

Cette fois, la première chose qui changea furent mes yeux. Des milliers d'entre eux firent POP. Juste comme ça, j'avais de nouveau mes yeux humains.

Ce n'était pas nécessairement une bonne chose, car cela me donnait l'occasion de regarder tout le monde - y compris moi-même - démorphoser. Et cela me donnait une vue très claire du pauvre Hork-Bajir sur le sol. Au moins, il était en un seul morceau. Il pourrait encore vivre. Les Hork-Bajirs sont un groupe robuste. Oui, il pourrait vivre.

Si les Taxxons ne le trouvaient pas en premier.