Chapitre 5 - Tobias

Je savais ce que c'était. Ou du moins je savais à quoi ça ressemblait. Mais je n'étais pas prêt à dire quoi que ce soit. Si je me trompais, Marco se moquerait de moi jusqu'à ma mort. En plus, c'était impossible. Totalement impossible.

Alors je n'ai rien dit.

Mais oh, mec, je me suis barré de là à toute vitesse avec ma queue de dauphin.

« Ils sont trop rapides, » dit Jake. « Mec, ils sont rapides ! »

Nous fuyions à toute allure à travers l'eau redevenue calme. Nous allions à fond. Mais les créatures gagnaient du terrain sur nous. Et tout le temps, dans ma tête, je pensais, Pas possible, pas possible.

Et pourtant, à chaque regard vers ces longs cous, à chaque éclat de ces têtes de serpent, j'étais de plus en plus convaincu.

Les créatures étaient à moins de trente mètres derrière.

« On ne peut pas les semer, » dit Jake avec gravité. « On doit soit se séparer soit se battre. »

« Se battre ! » dit Rachel. « Ce sont probablement juste des sortes de gros calmars ou quelque chose du genre. Allons-y ! »

J'aimais bien Rachel même avant de devenir un faucon. Mais maintenant, je l'aime vraiment. Elle pourrait être un oiseau de proie. Elle serait douée.

Mais elle se trompait cette fois.

« Séparons-nous, » dis-je. « Je ne pense pas qu'on puisse les battre. »

« On n’a pas encore essayé, » dit-elle.

« Tu ne comprends pas. Écoute, je sais que ça va sembler fou, mais -> »

SHWOOOOSH !

Ça venait de dessous. Comme un dauphin étrange et démesurément gros. Douze... quinze mètres de long ! Une mâchoire incroyablement énorme ouverte en grand.

Nous observions les créatures qui nous poursuivaient. Tout ce que j'ai eu le temps de voir de cette nouvelle menace, c'était l'éclair de ses dents.

<Aaaahhhh !> Il m'avait attrapé. Pas le temps de bouger. Je montais, montais, montais ! Haut dans les airs, piégé dans ces mâchoires massives alors que la créature émergeait à la surface.

Elle me lança en l'air. Comme j'avais vu les oiseaux marins le faire avec un poisson. Elle me lança en l'air, ouvrit ses mâchoires gigantesques et m'avala tout entier.

J'étais en train d'être avalé !

J'étais inconscient, puis conscient à nouveau, puis inconscient.

Je touchai l'eau. Non, pas de l'eau ! Trop chaud. Brûlant ! Ma peau brûlait !

J'étais aveugle. Sourd, sauf pour le bruit du bouillonnement. Et le battement régulier d'un cœur comme un tambour basse.

Puis, autre chose à côté de moi. Mon sens de dauphin le savait. C'était un autre dauphin. <Qui est-ce?>

<C'est moi !> cria une voix enragée.

<Rachel !>

<Qui t'attendais-tu à voir ? Jonas ? Nous devons sortir de cette chose. Ahhhh ! Ma peau me démange et brûle.>

<Acide gastrique,> dis-je. <Ça nous digère.>

<Ça ne me digère pas !> dit Rachel. <Je vais changer de morph ! Je vais nous sortir d'ici en déchirant un trou.>

<Tu dois passer par la forme humaine pour changer de morph,> dis-je. <L'acide gastrique !>

<Pas le choix !>

Je pouvais déjà la sentir changer. Je sentais des doigts humains appuyés contre moi dans cet espace clos et dévorant. Elle avait raison. Pas d'autre choix. Et je n'allais pas la laisser faire ça seule.

J'avais très peu de morphs disponibles. Et un seul qui pourrait être utile ici. Mais d'abord, je devais revenir à ma forme d'oiseau.

Quelque chose comme une pierre était dans l'estomac. Elle se frottait contre moi avec les mouvements des parois de l'estomac. Et alors que je perdais la peau dure d'un dauphin et retrouvais les os creux et fragiles de mon propre corps de faucon, les coups devenaient mortels.

Même le corps de Rachel me broyait, alors que ses coudes, ses poings et ses genoux me heurtaient encore et encore.

Mais tout cela n'était rien comparé à un simple fait : je ne pouvais pas respirer.

Je suffoquais !

<Air !> gémai-je.

Rachel ne pouvait pas répondre. Elle était redevenue humaine. Mais je savais qu'elle devait suffoquer aussi.

Mon aile gauche était cassée. Ma queue était en désordre. J'étais rongé par la douleur. Mais rien de tout cela n'avait d'importance car je coulais à présent. M'enfonçant et tourbillonnant dans un long puits noir.

Trop tard pour changer de morph à nouveau. Je le savais. C'était fini pour moi.

Et ma dernière pensée consciente fut un éclair de moi-même, des années plus tôt, à l'époque où j'étais encore complètement humain. Je me vis jouer avec la petite figurine en plastique - un modèle en jouet de l'animal dont j'étais dans le ventre. Un livret accompagnait la figurine. J'avais mémorisé tous les faits de ce livret.

<Ils avaient tort,> pensai-je alors que mon esprit s'éteignait. <C'est plus grand qu'ils ne l'avaient dit.>