Chapitre 16

Je restai allongé dans mon lit, dans le noir. Toutes les quelques minutes, je vérifiais les chiffres lumineux de l'horloge. Trois heures quinze. Trois heures quarante-deux. Quatre heures neuf.

Je voulais dormir. J'avais besoin de dormir. Impossible.

Avez-vous déjà passé une de ces nuits ? Où vous êtes épuisé, où vous paieriez n'importe quoi juste pour vous endormir ? Mais les rouages dans votre tête continuent de tourner, tourner et tourner ?

Conversations imaginées. Moi, parlant, expliquant, argumentant. Changeant les mots, les répétant, les ressassant. En rond encore et encore.

Moi parlant à Jake, un Jake imaginaire. Expliquant, avec une logique parfaite.

Moi parlant à mon père dans un futur fictif, un monde inexistant où les choses étaient différentes et où je pouvais enfin révéler tous les secrets que j'avais gardés toute ma vie.

Moi parlant à ma mère. Enragé. Expliquant.

Moi expliquant à ma mère, en tant que ma mère, en tant que ma vraie mère, pourquoi je devais le faire.

Moi expliquant à ma mère en tant que Visser Un. Riant, gloussant, savourant ma victoire sur elle.

C'est comme ça que je t'ai vaincue ! je me vantais.

C'est comme ça que je t'ai sauvée ! j'expliquais.

Pas le choix. Pas le choix.

Je devais le faire, Papa, tu comprends, n'est-ce pas ? Que pouvais-je faire d'autre ? Trop de choses en jeu. J'avais des responsabilités. Tu sais ce que c'est, non ? Et en plus, elle était déjà morte pour toi. Tu avais déjà fait ton deuil, tu te souviens ? Tu as passé des années à rester assis dans ton fauteuil, à regarder dans le vide, ta vie s'effondrant...

Tu vois, Jake ? Ne doute plus jamais de moi. Je l'ai fait, d'accord ? J'ai mis la mission en premier. J'ai vu la vue d'ensemble. Alors ne doute plus jamais de moi, parce que j'ai fait ce qui devait être fait...

Maman, qu'étais-je censé faire ? J'ai vu toutes les options. J'ai vu toutes les pièces sur l'échiquier. Il n'y avait pas de solution qui te libérait. Il n'y avait que des solutions qui te détruisaient. Je devais le faire. Comment d'autre ? Comment d'autre...

Meurs, sale Yeerk. Flétris et meurs, et souviens-toi avec ta dernière pensée mourante : c'était pour elle. Je t'ai tué pour elle.

Pour Jake.

Pour mon père.

Pour...

En rond et en rond, alors que les heures s'écoulaient. Alors que l'épuisement s'enfonçait profondément dans mes os.

Un jour, si nous gagnions, si l'humanité survivait, nous serions dans les livres d'histoire. Jake, Rachel, Cassie, Tobias, Ax et moi. Ils seraient des noms connus, comme les généraux de la Seconde Guerre mondiale ou de la Guerre civile. Patton et Eisenhower, Ulysses Grant et Robert E. Lee.

Les enfants nous étudieraient à l'école. Ennuyés, probablement.

Et puis le professeur raconterait l'histoire de Marco. Je ferais partie de l'histoire. Ce que j'étais sur le point de faire.

Un gamin rirait. Un gamin dirait, "Froid, mec. C'était vraiment froid."

Je devais le faire, gamin. C'était une guerre. C'est tout le but, espèce de petit crétin arrogant et suffisant ! Tu ne comprends pas ?

C'était tout le but. Nous avons blessé des innocents pour arrêter le mal.

Des Hork-Bajir innocents. Des Taxxons innocents. Des humains-Contrôleurs innocents.

Comment d'autre arrêter les Yeerks ? Comment d'autre gagner ?

Pas de choix, petit con. Nous avons fait ce que nous devions faire.

"Froid, mec. Le gars Marco ? Il était juste froid."