Chapitre 24

L'Andalite se déplaça sur ses sabots et trotta plus près, sa stature à couper le souffle. Il était puissant et bien proportionné.

<Vous avez suivi nos instructions.>

J'avais vu Elfangor se faire tuer de mes propres yeux, pourtant il se tenait là. Pourrait-il être le chef de l'EF ? Le cerveau d'une campagne terroriste contre le contrôle des Yirks ? J'étais incrédule, mais à ce stade, tout semblait possible.

"L'EF est certainement une force avec laquelle il faut compter," dis-je.

<On dirait que vous remettez en question nos tactiques.>

"L'action est le chemin le plus sûr vers le changement. Pas de doute là-dessus."

<Mais vous les combattriez différemment ? Le sabotage et les offensives terroristes vous mettent mal à l'aise moralement. Vous voulez une meilleure voie.>

"Ce que je veux, c'est rentrer chez moi."

<Trop pour vous ?> Elfangor était une présence impressionnante. Je mentirais si je disais qu'il ne m'intimidait pas un peu. Mais j'étais aussi un leader. Je voyais la lutte pour la Terre comme étant plus la mienne maintenant que la sienne. Je voulais lui témoigner du respect, mais à mon avis, il avait fait une énorme erreur avec la campagne terroriste. Je devais le lui dire.

"Non. Je veux rentrer chez moi pour pouvoir empêcher tout cela de se produire. Si c'est l'avenir, je veux revenir en arrière. Je peux arrêter les Yirks sans sacrifier mes amis. Sans gâcher la guerre et m'empêtrer dans votre genre de terrorisme et de demi-libertés. Je peux les arrêter avant que nous sacrifiions les choses mêmes pour lesquelles nous nous battons !"

Elfangor ria dans mon esprit. <Une victoire sans sacrifice ? Vous savez mieux que ça.>

"Vous n'avez pas à renoncer à vos principes pour gagner. N'y a-t-il pas toujours une alternative au sacrifice si vous gardez simplement l'esprit clair, que vous prenez du recul, et que vous la voyez et..."

<Vous savez mieux que ça.>

La répétition piqua. Comment savait-il que je ne faisais que parler en l'air ? C'était comme s'il était dans ma tête, fouillant dans mon dossier personnel de peurs et d'erreurs...

Maintenant, j'étais en colère.

"Tout est de votre faute," dis-je soudainement, me surprenant moi-même. "Je vous ai toujours considéré comme un héros, Elfangor. Un leader. Mais la vérité est que vous ne pouviez pas voir une autre issue. Vous nous avez condamnés à des difficultés, de la douleur, et de la souffrance. Nous étions des enfants. Vous nous avez fait remettre en question chaque valeur que nous avions jamais apprise. Vous n'aviez pas le droit de nous imposer ce poids, énorme et impossible. Vous nous avez utilisés !"

<C'est intéressant, venant de vous, Jake.> La voix changea en disant mon nom. Soudain, il ne sonnait plus comme Elfangor. L'arrogance andalite avait disparu, ne laissant que la voix d'un homme. Un humain. Familier et étrange à la fois.

<Laissez-moi deviner ce qui vient ensuite,> dit la nouvelle voix. <Vous n'avez pas demandé à être leader, n'est-ce pas ? Vous n'avez pas demandé à prendre les décisions difficiles. Planifier les missions. Décider comment utiliser votre petite mais loyale force. Comment et quand les mettre en danger, risquant leurs vies. Vous êtes irréprochable. Le rôle vous a été imposé. Eh bien, je n'y crois pas, Jake. Chaque choix est le vôtre. Il l'a toujours été. Vous étiez et êtes libre.>

"Tobias."

<Oui. Tu sais, j'ai pris la morphose d'Ax il y a longtemps. J'ai décidé de rester dans cette morphose. Le corps d'Ax a vieilli de dix ans. C'est le portrait craché d'Elfangor, n'est-ce pas ? Mais Elfangor est mort, Jake.>

Bien sûr.

<Et toi aussi.>

Ma gorge se serra. Ma peau picota. Quoi ? Mon esprit s'accrocha à ses mots, les tira, les pressa. Les retourna et les secoua.

Mort ? Alors comment pourrais-je être libre ?!

<Il y a dix ans ce soir, Tom a tout compris. Il est entré dans ta chambre et a tué le chef des Animorphs. Plutôt que de laisser Visser Trois savoir qu'un des célèbres "bandits andalites" était passé inaperçu si longtemps, juste sous son nez, Tom a mis fin à ta vie. Ton propre frère...>

"Mais je suis là !"

Je baissai les yeux sur ma main. Chair rose-brun sous la lumière de la lampe de lecture. Articulations, ongles, veines, os. Vivant. Réel.

<Oui, tu es là, mais pas vivant.>

Qu'est-ce que c'était ?

<Tout converge ce soir. Batailles, lutte, stratégie. Ce soir est le moment décisif. Le rayon lunaire du Chrysler Building est prêt à être utilisé. Ils l'alimentent pendant que je parle. Passant en revue la liste de contrôle. Appliquant tes centaines d'heures de calculs.>

"Non ! Non, non, non ! Je ne suis pas un scientifique !"

<Tu l'es. Tu l'étais. Ou plutôt, tu le seras. Tout repose sur toi. Tu es le seul... toi seul peux faire en sorte que le tir manque. Vas-y, Jake. Modifie le programme. Fais en sorte que ça rate. Même un dixième de pour cent suffira. C'est le moment décisif, tu comprends ? Utilise tous les moyens nécessaires.>

"Si je fais rater le tir, la lune explosera et condamnera des millions."

<Le plus grand bien, Jake. La vue d'ensemble. Pour l'amour de Dieu, ne te laisse pas arrêter par les détails. Kandrona permanente. L'échec signifie une Terre qui est enfin irrévocablement Yeerk.>

"Mais qu'en est-il de Cassie ? Marco l'a avec lui !"

<Il n'y a pas de temps. Elle est prête à mourir avec honneur.>

"Ne pourrais-tu pas envoyer quelqu'un d'autre pour la sauver ? Un de tes gens ?" plaidai-je, indigné par son rejet de sa vie.

Tobias haussa les épaules.

<Pas de personne de disponible.>

"Je ne la laisserai pas mourir !"

<Sauver une ou sauver beaucoup ? Le choix n'était pas si difficile pour toi au bâtiment Ragsin, quand tu as laissé Marco et Rachel se sauver eux-mêmes.>

Je ne pouvais pas répondre à cela.

<C'est la guerre, Jake. Des sacrifices doivent être faits.> Il se retourna brusquement et traversa la pièce.

<Altérer le rayon lunaire ou sauver Cassie. L'un ou l'autre. Ou ni l'un ni l'autre. Pas les deux.>