Chapitre 11

Faim.

C'était à peu près tout ce que l'esprit d'araignée avait à dire : faim, elle avait faim. Elle voulait chasser. Elle voulait tuer. Elle voulait dévorer quelques jolis insectes juteux. Elle avait faim.

Ai-je mentionné la faim ?

Et elle se fichait de quel type d'insecte il s'agissait. Ça pouvait être des scarabées, des sauterelles, des grillons, ou même une grosse mante religieuse. L'araignée s'en fichait. Elle régnait sur le monde des insectes. Elle était pour les insectes ce qu'un lion est pour un troupeau d'antilopes. Elle était un requin parmi des guppies.

Ils pouvaient fuir la lycose, mais ils ne pouvaient pas se cacher.

Mouvement ! Quelque chose a bougé, de gauche à droite dans mon champ de vision, et je l'ai poursuivi comme un chien après un lapin.

Mes huit pattes se sont mises en marche et j'ai filé à travers le sol de la forêt comme un dragster sortant de la ligne de départ.

Le monde était étrange pour mes huit yeux d'araignée. Je voyais des couleurs qu'aucun humain n'avait jamais vues. C'était comme quand on joue avec les boutons de couleur et de teinte de la télé. Des choses qui auraient dû être marron étaient bleues, et le vert était rouge, ou peu importe. Sous certains angles, les images étaient presque claires, mais une seconde plus tard, tout se brisait en morceaux et je regardais un million de petits écrans à la fois.

Je n'ai jamais pu en tirer un sens logique.

Mais surtout, ce que je voyais, c'était le mouvement. J'étais très, très intéressé par le mouvement. Mes yeux et chaque poil de mon corps dégoûtant étaient là pour repérer le mouvement.

Et quand la bonne chose bougeait, mon corps réagissait tout seul.

C'était une montée d'adrénaline, comme on disait à l'époque de mon père. Une charge. C'était comme se connecter à la conduite principale d'adrénaline. C'était électrique. C'était nucléaire. J'ai traversé des aiguilles de pin et des feuilles mortes et des parcelles de terre et j'ai gardé cet insecte en mouvement dans mon champ de vision et je savais ce que je faisais, je veux dire, je savais que j'étais Marco, un humain en morphose, et je savais que je ne voulais pas vraiment manger cet insecte en fuite, mais bon sang, j'étais trop excité pour m'arrêter.

La proie fuyait et j'étais le prédateur. J'avais évolué pendant des centaines de millions d'années pour faire exactement cela. Quand le Tyrannosaurus rex était encore à des millions d'années de l'évolution, de minuscules chasseurs arachnides tuaient et mangeaient. Toute l'histoire de l'Homo sapiens, du troglodyte à la mère de famille, n'était qu'un clignement dans l'histoire des araignées.

J'étais la mort sur huit pattes.

C'était un scarabée. C'est ce que je poursuivais. Un vieux gros scarabée, bien plus grand que moi. Plus grand et plus lent. Il grandissait dans mon champ de vision déformé. Il grandissait et grandissait et je continuais à avancer.

J'aimerais pouvoir expliquer pourquoi j'ai continué la chasse. Parfois, le cerveau animal prend le dessus et submerge un peu l'esprit humain. Mais ce n'était pas ce qui m'arrivait. Je n'étais pas submergé. J'étais juste dedans.

Un dernier élan de vitesse !

Mes pattes avant ont touché le scarabée. Il a esquivé à gauche, mais trop lentement.

Je me suis hissé sur son dos.

J'ai positionné mes mâchoires avec leurs crocs mortels, et -

<Marco. Que fais-tu?>

C'était Ax. Je suis descendu du scarabée, sentant que j'avais été pris en train de faire quelque chose de mal. Le scarabée a continué sa course, soulagé d'avoir échappé. Si les scarabées peuvent ressentir du soulagement.

<Rien. Je laissais juste l'araignée être une araignée.> C'était une assez bonne réponse, pensais-je. <Je suppose que ses instincts m'ont un peu emporté.>

<Marco, j'ai pris la morphose de l'araignée identique,> a dit Ax.

J'ai ressenti une vague de culpabilité et de honte monter en moi. <Ax, ce n'était qu'un cafard. Qui s'en soucie ? Allez, nous avons un travail à faire.>

<Parfois, les humains m'inquiètent,> a déclaré Ax.

Je ne lui ai pas demandé ce qu'il voulait dire.

Pourquoi étais-je tellement pris par la chasse ? Pourquoi n'avais-je pas résisté à l'envie ?

J'ai repensé à la rage que j'avais ressentie en parlant à Tom. Était-ce ça ?

<Je pense que c'est par ici,> a dit Ax. Il a pris les devants et je l'ai vu se déplacer devant moi, une araignée se précipitant sans effort sur ses huit pattes.

Je suis tombé derrière lui. J'étais calme maintenant. L'incroyable et folle ruée de la chasse était terminée. Maintenant, l'araignée n'était qu'un outil que j'utilisais.

Soudain, du ciel... quelque chose est tombé vers moi !

Ça a atterri juste entre Ax et moi. Une sauterelle, trois, quatre fois notre taille. Ça ressemblait à un éléphant.

Puis... thwap ! Elle a projeté ses énormes pattes arrière et a bondi dans les airs. Elle a disparu aussi vite qu'elle était arrivée.

Nous avons continué à travers la forêt, parcourant les deux cents pieds qui nous séparaient du bord de la fête. Je sentais la proximité des humains. J'"entendais" des vibrations qui pourraient être des paroles, mais les voix étaient trop brouillées pour avoir du sens.

<Hé, Marco, Ax, vous êtes dans le coin?>

C'était la voix de pensée de Jake.

<Oui, Prince Jake,> a répondu Ax. <Nous sommes ici.>

<On n'est pas jolis, mais on est là,> ai-je ajouté.

<Cool. Je ne suis pas exactement beau moi-même. Je suis en morphose de mouche. Je n'ai pas encore trouvé notre garçon Erek, cependant.>

Quelque chose de massif et lent est apparu dans l'air au-dessus de moi. J'ai détalé sur le côté. Ça a atterri lentement avec un grand WHOOOMPHHH !

Un pied humain. Une chaussure. Nike.

<Tu sais, je m'inquiétais que quelqu'un puisse me marcher dessus,> ai-je dit. <Mais les humains sont si lents.>

<Fais attention quand même,> a dit Jake. <Faites-moi savoir si vous trouvez Erek.>

<Je ne sais pas comment je suis censé le reconnaître,> me suis-je plaint. <Ces yeux d'araignée ne sont pas bons pour voir les distances. Et les têtes humaines semblent être tout là-haut dans les nuages, d'où je rampe ici.>

Mais Ax et moi avons continué, glissant rapidement à travers une forêt de jambes et de pieds énormes se déplaçant lentement.

Puis, juste devant moi, je l'ai vu.

Cela ressemblait à un pied humain nu. Sauf que je pouvais voir à travers la peau. À travers les ongles. Avec mes huit yeux d'araignée étranges et déformés, je pouvais voir à travers le brouillard électronique de l'hologramme.

Je pouvais voir ce qui se trouvait sous l'hologramme.

J'ai vu ce qui ressemblait à des plaques d'acier et d'ivoire imbriquées. Le "pied" n'avait pas d'orteils. En fait, il n'était pas en forme de pied humain. Plutôt comme une patte.

Ce n'était pas humain. Et tout dans mes sens d'araignée, picotants, bourdonnants, hyperactifs, me disait que ce n'était pas vivant.

<Ax?>

<Oui, je le vois.>

<Qu'est-ce que c'est?>

<Je ne sais pas.>

<Ça ressemble presque à une machine. Comme si c'était fait de métal.>

<Oui,> dit Ax. <Je pense que ton ami Erek pourrait être un androïde.>