Chapitre 24

Ils me firent attendre presque une heure. Je ne pouvais qu'imaginer ce qui se passait parmi les Treize. Peut-être traitaient-ils une affaire totalement sans rapport. Peut-être la disparition étrange de la force opérationnelle envoyée pour enquêter sur la planète Anati.

Mais plus probablement, ils débattaient de mon sort. Décidant si je vivrais ou mourrais. Ou, si je devais mourir, comment et quand.

Enfin, quand je sentis que je ne pouvais plus supporter le suspense, l'hologramme réapparut.

Garoff parla. "Maintenant, Visser Un, vous pouvez reprendre votre récit. Vous étiez sur le point de nous dire ce qui est arrivé à l'hôte Allison Kim."

"Oui. Oui, j'y étais."

Je racontais une histoire qui était un suicide à raconter. Mon ennemi le plus mortel était mon procureur. Mon juge, l'un d'eux du moins, était motivé par une impulsion que je ne pouvais comprendre. Et je venais d'appeler un groupe d'Andalites et d'humains capables de morphoser pour attaquer mon propre peuple.

J'étais paralysé par la douleur, faible, entouré. Visser Trois ; Garoff ; l'enfant de mon hôte, Marco. L'un des trois pourrait me tuer. Et tout ce que je pouvais faire était de parler.

"Essam et moi avions besoin d'un approvisionnement de Kandrona. Le Kandrona à bord du vaisseau s'affaiblissait. Il aurait dû pouvoir durer encore un an, au moins. Mais il s'épuisait. Nous allions mourir de faim. Et cela signifierait la fin de la mission."

<Alors, enfin, après plus d'un an à passer pour un humain, à procréer comme un humain, vous avez décidé de contacter l'Empire !> dit Visser Trois. Il rit. <Comme c'est consciencieux de votre part.>

"J'ai contacté l'Empire. Ils m'ont menacé, bien sûr. J'avais volé un vaisseau et disparu. Mais ensuite, j'ai prononcé les mots magiques : espèce de Classe-Cinq."

Même maintenant, même ici dans cette situation terrible, je savourais le souvenir. « C'était un sous-visser Quatre-vingt-douze avec qui j'ai parlé en premier. 'J'ai localisé une espèce de Classe-Cinq,' je lui ai dit. 'Une espèce de Classe-Cinq avec une dextérité supérieure et des capacités sensorielles au-dessus de la moyenne.'

« 'Des chiffres ?' demanda le sous-visser.

« 'Cinq milliards. Plus ou moins.'

« Je me souviens de la façon dont le sous-visser s'est redressé d'un coup. Je crois qu'il s'est coupé avec ses propres lames de Hork-Bajir.

« Il l'a répété prudemment. 'Vous voulez dire cinq millions, Sous-Visser ?'

« 'Non, Sous-Visser,' ai-je dit. 'Je veux dire cinq milliards. Comme dans cinq mille millions.'

« J'ai expliqué mon concept pour Le Partage et lui ai envoyé un enregistrement que j'avais fait du tout premier hôte humain volontaire. J'ai exposé mon plan pour une invasion de la Terre qui ne nécessiterait pas de dépouiller nos forces du reste de la galaxie, une invasion qui nécessiterait une poignée relative de Yirks. Après cela, bien sûr, il n'y a plus eu de discussion sur mon arrestation.

« Je suis rentré chez moi après ce contact exalté et j'ai trouvé Essam/Hildy s'occupant des enfants. C'étaient des nourrissons, bien sûr. Il changeait leurs couches. Je lui ai dit, en passant, qu'un nouveau Kandrona était en route. Il est devenu irrationnel. Émotionnel. »

« Quelle était la cause de son irrationalité ? » demanda Garoff.

« Il a dit que je n'aurais pas dû contacter l'Empire. Nous pouvions, selon lui, ramener notre vaisseau dans l'espace Yirk, inventer une histoire de perte et obtenir un nouveau générateur de Kandrona avant de retourner sur Terre. Il avait voulu m'en parler. Il était en colère que j'aie pris contact de mon propre chef. »

<Elle essaie de blâmer un Yirk mort pour sa propre trahison !> cria Visser Trois.

« J'ai contacté l'Empire ! » ai-je crié face à lui. « Si j'avais voulu - »

<Des mois s'étaient écoulés !>

« J'avais utilisé ce temps pour comprendre les humains. Pour apprendre leurs forces et leurs faiblesses. J'avais déjà commencé Le Partage. J'étais un espion, Visser Trois. Un agent secret travaillant sous couverture. C'était moi et Essam, seuls. Que vouliez-vous que je fasse? Utiliser notre seul vaisseau pour attaquer la Maison Blanche ? »

« Un espion », dit Garoff pensivement. « Oui, un espion voudrait se fondre dans le monde environnant. Il pourrait même avoir besoin de simuler une certaine sympathie avec la population locale. »

Je vis la queue de Visser Trois tressaillir. Un geste de surprise. Garoff venait de montrer son jeu : Garoff était de mon côté. Garoff avait effectué l'interface mémoire en direct, et maintenant il me défendait, aussi indirectement soit-il.

J'ai savouré ce moment. J'ai savouré le frisson de peur qui parcourait la colonne vertébrale andalite de Visser Trois.

« Continuez avec le récit, » dit Garoff.

« Oui, membre du Conseil. »

J'ai ajusté mon bras endommagé, soulageant un peu la douleur. « Essam était devenu irrationnel, comme je l'ai dit. Mais j'ai pu le convaincre de la nécessité et de la justesse de mes actions. C'est ce que je croyais, en tout cas. Je lui ai dit que les enfants étaient sans importance. Nous étions des officiers Yirk, des représentants de l'Empire, nous avions un devoir, nous avions un devoir joyeux. »

« Tu en fais un peu trop, » dit Eva. « Sois direct et honnête. Je parie qu'ils n'ont pas l'habitude de ça. »

Maintenant, mon hôte me donnait des conseils. Il m'aidait. Essayait de me sauver. C'était l'humiliation ultime.

« Et qu'a répondu Essam ? » demanda Garoff.

« Il a dit : ‘Oui, tu as raison, bien sûr.’ Et moi, pour ma part, j'ai continué à le cajoler, à raisonner et à expliquer. J'avais encore besoin de l'aide d'Essam, si je pouvais l'obtenir. Je lui ai dit que je comprenais ses préoccupations. Et oui, j'admets volontiers que le long isolement, coupé de tout, et vivre en tant qu'humain sans le contrepoids de la compagnie Yeerk, m'avait conduit à une sympathie non professionnelle pour les humains. Pour mon hôte. Et, à travers elle, pour la progéniture. Les enfants. »

« C'est ça. Intelligent. Admets ce qui est de toute façon évident. »

« Mais mes sympathies émotionnelles n'ont pas obscurci mon devoir. Je savais où il se situait. Je savais que cette espèce de Classe Cinq était une ressource naturelle vitale. Je supposais qu'Essam verrait tout cela aussi. Je n'avais pas vu qu'Essam était plus faible que moi. Nous savons tous qu'Essam avait atteint à un moment de sa carrière le rang de sous-visser et avait été rétrogradé pour comportement inapproprié. Plus précisément, un manque de vigueur. Un manque de fermeté. Je pensais qu'Essam comprenait et était d'accord avec moi. J'avais tort. »

« Très bien, Yeerk, » dit Eva. « Tu as bien aligné tout ça avec ce que Garoff a vu dans tes souvenirs. Tu avais des sympathies humaines, mais tu les as surmontées. Comme c'est noble. »

« Nous avions déménagé d'Hollywood. J'avais conclu qu'Hollywood n'était pas le meilleur endroit pour une invasion qui devrait passer inaperçue pendant quelques années. Hollywood est surveillé. Et Hollywood était déjà saturé de mouvements qui ressemblaient superficiellement à mon concept pour le Partage. Alors nous sommes partis, vers un endroit où le Partage aurait moins de concurrence pour les crédules.

« Il a été facile de trouver un nouvel emploi pour Allison. Mais ma vie devenait plus compliquée. J'avais commencé le Partage à ce moment-là, et j'utilisais un second hôte, à temps partiel, pour cette tâche. Je courais constamment d'un travail d'Allison à des affaires liées au Partage, avec un changement d'hôtes entre chaque. Très chronophage. »

« Où vas-tu, Essam ? » demandai-je.

« Ne t'inquiète pas, je te laisserai le Kandrona, » dit-il. « Je ne te laisserai pas mourir de faim. Je... j'ai vraiment cru que je t'aimais. Et pour cela, je ne te ferai pas de mal maintenant. »

« Qu'est-ce que tu racontes ? »

« Je viens de me nourrir. Je tiendrai trois jours. Je libérerai Hildy à ce moment-là. Il sera en sécurité avec les enfants d'ici là. »

« Tu penses partir ? » m'écriai-je.

« Oui, Allison. Je - »

« Je suis le Sous-Visser Quatre-cent-neuf, pas ‘Allison’ ! » rugis-je.

« Oui, Sous-Visser, » dit Essam. « Mais je ne suis plus membre de l'Empire. J'ai choisi la mort plutôt que la continuité de cette mission méprisable. »