Chapitre 15

Nous étions assis autour d'une grande table ronde, massivement construite en poutres usées par le sel. Sans doute coupées dans une des épaves les plus gravement détruites que les Chercheurs Nartec avaient trouvées et ramenées dans leur ville étrange. Elle pourrait avoir cent ans. Ou le double.

Nos chaises étaient construites avec des pièces de bois disparates. Du bois assemblé de manière hétéroclite. Quelques-unes arboraient des morceaux de cuir craquelé sur les sièges et les dossiers. L'une était décorée d'un motif incrusté de nacre fissurée et sale.

Ceux assis le plus près de la reine, à la tête de la table, étaient installés dans une collection bizarre de chaises longues et de fauteuils de capitaine.

Des assiettes empilées de poissons crus se trouvaient devant nous sur la table. Certains poissons étaient entiers. Anguilles. Petits requins. Pieuvres. D'autres étaient découpés en morceaux, un peu comme des sushis. Quelques bols en acier inoxydable, sans doute des récupérations assez récentes, étaient remplis d'algues. Chacun de nous avait une chope de quelque chose de vert.

Marco leva sa chope pour me la montrer. La sienne avait encore l'ombre d'un logo imprimé dessus. Des lettres russes et le contour d'un sous-marin nucléaire.

Nous étions des invités involontaires à ce festin traditionnel Nartec. Je veux dire, à quel point pouvez-vous vous sentir à l'aise quand vous faites une apparition commandée et que vous le faites sous les yeux vigilants d'au moins cinquante gardes armés se tenant au garde-à-vous tout autour de la salle.

Piégés. Nous ne pouvions ni fuir ni nous transformer. Pas tant que les Nartecs nous observaient.

Pas tant que le Vissor Trois était potentiellement encore en liberté.

Il pouvait être n'importe où. Dans cette même pièce. Transformé en une petite créature vigilante. Attendant de pouvoir s'échapper lui-même.

Se demandant ce que faisaient des humains dans le monde des Nartecs.

Faisant le lien. Se souvenant des baleines qui avaient endommagé son précieux Sea Blade.

Réalisant que les "bandits andalites" n'étaient pas des Andalites après tout.

Stupide ! J'aurais dû y penser, j'aurais dû réaliser que se transformer et se battre pour sortir des filets était le moindre de deux dangers. Avais-je été attiré ici par ma propre curiosité ? Étais-je tombé sous le charme de cet endroit impossible ?

Nous aurions dû nous battre pour sortir. Si quelques Nartecs étaient blessés...

Aurions dû, aurions dû, aurions dû. Je déteste ce mot.

J'ai jeté un coup d'œil à Rachel. Ses lèvres étaient serrées en une fine ligne.

Les yeux de Cassie étaient méfiants.

Marco faisait la grimace devant le tas de poissons devant lui.

Et où était Tobias !

Capturé ? Retenu dans une autre partie du palais ?

Allions-nous soudain entendre le cri torturé d'une buse à queue rousse, comme nous avions entendu les cris des Hork-Bajir ?

La reine Soco prit une gorgée de sa coupe, puis nous fixa de ses grands yeux ronds.

"Maintenant que vous avez vu les merveilles de mon palais, je suis sûre que vous avez de nombreuses questions à poser. Que voudriez-vous savoir sur les Nartecs, habitants de la surface ?"

<Peut-être devrais-tu lui demander d'expliquer l'origine de son peuple, Prince Jake,> dit Ax en privé. <L'histoire pourrait fournir des informations précieuses qui nous aideraient à comprendre notre situation actuelle. Et rendre possible notre évasion.>

C'était une bonne idée. Et à peu près la seule que nous avions.

J'ai demandé.

Elle croisa les bras sur sa poitrine. Ferma les yeux et les garda fermés pendant une longue minute tandis que je transpirais et me demandais si j'avais commis une offense.

Puis elle rouvrit les yeux, mais garda son regard élevé. C'était un rituel, je réalisai, en voyant les réactions respectueuses des autres Nartecs.

"C'est l'histoire que notre peuple raconte depuis le Commencement. C'est la Vérité Sacrée, racontée encore et encore, à travers les âges. La Vérité Sacrée des Rois et Reines des Nartecs."

J'avais l'impression que Marco réprimait un désir de faire une remarque sarcastique. Je lui lançai un regard sévère. Il se contenta de lever les yeux au ciel très légèrement.

"Il y a plusieurs milliers d'années, les Nartecs vivaient sur une île au milieu du Grand Océan," intona la reine Soco. "Très lentement, subtilement, au fil du temps, l'île commença à couler. Chaque génération construisait des murs de plus en plus hauts autour de l'île pour empêcher le Grand Océan d'engloutir le peuple. Chaque année qui passait, les murs devenaient plus hauts, plus hauts - des centaines de pieds de hauteur. Des merveilles d'ingénierie !"

Les Nartecs acquiescèrent en accord. Un chœur silencieux jouant son rôle.

"Pourtant, il était inévitable que la pression du Grand Océan finisse par user et plier ces murs protecteurs. De plus en plus proches, ils grandissaient jusqu'à ce que le sommet de chaque mur rencontre celui d'un autre et forme un plafond à notre monde.

Puis le Grand Océan engloutit les Nartec. L'île continua de s'enfoncer. Peut-être est-elle encore en train de sombrer.

La reine Soco fit une pause pour manger un petit morceau de poisson blanc.

< Une histoire d'origine étrange et improbable, Prince Jake, > commenta Ax. < Évidemment, elle s'est déformée au fil des ans, jusqu'à devenir plus un mythe ou une légende qu'une vérité. >

Je fis un signe de tête à Ax, et la reine Soco continua.

"Ce qui est important, c'est que les Nartec ne sont pas morts," dit-elle. "Nous nous sommes adaptés à notre nouveau monde souterrain et sous-marin. Au fil du temps, nous avons découvert des sources de lumière alternatives. Comme celle produite par les roches narna qui recouvrent nos toits et plafonds.

"Et, par nécessité, nos corps ont également changé. À un rythme remarquablement rapide. Nous sommes devenus amphibiens par un acte de volonté suprême."

Ax commenta en privé. < Même sans expérimentation nécessaire, je suis presque certain que la lumière produite par les roches "narna" mentionnées par la reine Soco est radioactive. Sans doute cette radioactivité a-t-elle accéléré le taux de mutation des Nartec. >

Je fis à nouveau un léger signe de tête pour montrer à Ax que j'avais entendu.

"C'est ainsi que nous avons construit cette magnifique ville. C'est ainsi que nous avons survécu et prospéré. Et c'est ainsi que nous sommes devenus les souverains légitimes de l'Unique Océan et de toutes les terres qui la touchent."

La foule acquiesça et sembla satisfaite. Ils se détendirent et commencèrent à manger de nouveau.

La reine Soco prit une autre gorgée de sa coupe et continua. Sa voix était moins formelle maintenant. Elle croisa mon regard.

"Bien sûr, les Nartec continuent d'étudier la technologie des navires océaniques coulés construits par les Habitants de la Surface. Nous étudions les techniques de construction et les méthodes de conservation des aliments. Nous apprenons sur les équipements de navigation et autres dispositifs électroniques qui pourraient nous être utiles. Des grands bateaux de plaisance océaniques, nous apprenons les styles changeants des vêtements et des ameublements de Surface et des activités récréatives. Et s'il y a des survivants des naufrages qui nous apportent ces navires, nous les étudions aussi. C'est-à-dire jusqu'à ce que nous ayons appris tout ce dont nous avons besoin."

"Et voilà," murmura Marco.

"Et ensuite ?" demandai-je. Bien que je connaisse la réponse.

La reine Soco sourit légèrement, amusée. "Ensuite, ils sont préservés pour devenir partie de notre réserve de connaissances."

"Vous les tuez et les empaillés," dit Rachel.

"Exactement."