Chapitre 22

Je suis allé dans la chambre de Rachel cette nuit-là. Je n'arrivais pas à dormir. Et j'étais littéralement affamé. Mais la dernière chose à laquelle je pouvais penser était la chasse.

Elle s'était couchée tôt mais avait laissé la fenêtre ouverte. Je suis entré en voletant et me suis posé sur son bureau. Quand j'ai réalisé qu'elle dormait, j'ai commencé à partir.

« Non, attends. Ne pars pas », dit-elle en se frottant les yeux pour chasser le sommeil et en s'asseyant. Elle n'alluma pas la lumière. J'étais soulagé d'une certaine manière.

« Tu as raté la réunion », dit Rachel.

<Oui. Désolé. Qu'avez-vous décidé de faire à propos de Bek?>

Rachel ébouriffa ses cheveux. « Jake a eu l'idée que les Yirks essaieraient probablement de l'utiliser pour piéger les autres Hork-Bajir libres. »

<Oui?>

« Cette installation que les Hork-Bajir ne voulaient pas te révéler ? Celle où ils ont fait des raids pour libérer d'autres Hork-Bajir ? Jake pense qu'ils vont y emmener Bek. Comme appât. »

<Ou du moins, c'est ce que Jake veut croire,> dis-je avec ressentiment. <Jara, Ket et Toby m'ont confié cette information. Peut-être que Jake cherche juste une excuse pour forcer les Hork-Bajir à nous révéler cet endroit.>

Rachel me regarda comme si elle allait discuter. Puis elle se mit à rire. « Peut-être. Jake est devenu plus subtil. Peu importe. Nous n'avons pas d'autre piste. Soit Bek est à cet endroit, soit il est dans la piscine des Yirks, soit il est mort. Quoi qu'il en soit, nous y allons demain en plein jour. Pas d'école à cause d'une conférence de professeurs. »

Je grimaçai. <J'ai dit à Jara, Ket et Toby que je ramènerais ce petit Hork-Bajir.>

« Nous avons presque réussi. Ce n'est pas ta faute si les Yirks l'ont attrapé. »

J'ai laissé tomber. C'était ma faute, mais il n'y avait aucun intérêt à ce que nous passions la nuit à dire « si, c'est ta faute », « non, ce n'est pas ta faute ».

<Ax et moi avons suivi cette femme, Aria,> dis-je.

« Oui. Ax a mentionné ça. »

<Je - je pense qu'elle pourrait être sincère. Pas que ça compte vraiment. Je veux dire, tu sais...>

Rachel sortit du lit et vint s'asseoir au bureau près de moi. « Bien sûr que ça compte, Tobias. C'est de la famille. Et elle veut prendre soin de toi. »

Je forçai un rire. <Oui, ça va très bien marcher. "Salut, Cousine Aria. C'est moi, Tobias. Non, par ici : l'oiseau. Oui, ton cousin est un faucon à queue rousse. Surprise !">

« Tu n'es pas obligé. »

Je fis semblant de ne pas comprendre de quoi elle parlait. <Quoi?>

« Tobias, tu as le pouvoir de redevenir humain. Pleinement humain. »

<Uh-huh.>

« Tu peux aller voir cette femme en tant qu'humain. Tu peux redevenir Tobias. Tu peux avoir une famille. Quelqu'un pour s'occuper de toi. »

<Je n'ai besoin de personne pour s'occuper de moi.> Je m'irritai.

Rachel se leva soudainement. « Tobias, ne fais pas l'idiot ! Tu sais ce que je veux dire. Tu penses que je ne sais pas que tu as faim ? Je peux le voir en te regardant. Quelque chose ne va pas ces derniers temps. Je veux dire, je t'ai vu - peu importe. »

Mon cœur était dans ma gorge. <Quoi ?!> J'ai failli crier. <Tu m'as vu quoi ? Manger ça... ce charognard ? En quoi est-ce différent de ce que tu fais ? Ou de n'importe quel humain ? Vous allez au supermarché et achetez du bœuf, du porc ou du poulet qui est mort depuis des semaines !>

"Je me fiche que tu aies mangé du charognard. Arrête d'être idiot ! Je m'inquiète pour toi. Et quand je te vois faire ça, je sais que les choses tournent mal pour toi. Mais tu es dans ton propre petit monde de faucon et personne n'a le droit de t'aider. Tu préfères mourir de faim que de demander de l'aide. Tu ne peux jamais admettre que ta vie peut être nulle parce que alors tu te sentirais faible."

<Je suis un faucon,> ai-je répliqué. <Un oiseau de proie. Quand nous sommes faibles, nous mourons. C'est la loi pour nous. Je ne suis pas un être humain. Plus maintenant. Personne n'aide un faucon. Un faucon vit avec ses yeux, ses ailes et ses serres.>

"Tu es un faucon ?" Rachel ricana. "Tu parles, Tobias. Tu lis. Tu as des émotions. Ce sont des choses humaines, pas des choses de faucon."

<Je sais ! Je sais ! Ne crois-tu pas que je le sais ? C'est pour ça que j'ai faim. Parce que je ne suis pas assez faucon. C'est pourquoi j'ai laissé Bek s'échapper, parce que j'étais assez humain pour me soucier plus de ma douleur et de ma peur que de faire ce que je devais faire.>

"C'est juste stupide," dit Rachel avec colère. "Ça n'a même pas de sens. Tu sais quoi ? Tu dois faire un choix, Tobias. Tu peux être un faucon. Mais tu ne seras jamais, jamais, pas en un million d'années, un pur vrai faucon. Si tu veux rester un faucon, tu seras comme tu es maintenant : confus, en conflit, déchiré à l'intérieur, ne sachant jamais ce que tu es vraiment. Ou... ou tu peux redevenir humain. Tout humain. Tu peux vivre avec la femme Aria et manger à table et dormir dans un lit."

<Et ne jamais voler,> dis-je. <Ne jamais voler à nouveau. Ne jamais voir avec des yeux de faucon. Ne jamais se transformer à nouveau. Je sais que vous seriez tous gentils avec moi, mais je vous perdrais tous. Je perdrais le fait d'être un Animorph.>

"Tu ne me perdrais pas," dit Rachel.

Pendant un long moment, aucun de nous n'a parlé. Puis Rachel, dans un murmure, dit, "Qu'est-ce que je suis censée faire, Tobias ? Je suis une fille. Tu es un oiseau. C'est bien au-delà de Roméo et Juliette, des Montaigu et des Capulet. Ce n'est pas Kate Winslet et Léo DiCaprio venant de groupes sociaux différents ou quoi que ce soit. Ce n'est pas comme si tu étais noir et que j'étais blanche comme Cassie et Jake. Personne à part un imbécile ne se soucie de ça. Nous sommes... nous ne pouvons pas nous tenir la main, Tobias. Nous ne pouvons pas danser. Nous ne pouvons pas aller voir un film ensemble."

<Je... Mon Dieu, Rachel, ne crois-tu pas que je sais tout ça ? Ne crois-tu pas que je veux avoir tout ça ? Mais je ne peux pas continuer à changer. Je ne peux pas continuer à devenir quelque chose de différent.>

"Un changement de plus, Tobias. Retour à l'humain. Tu serais libre de cette stupide guerre et libre de tout le danger de vivre comme un faucon. Je n'aurais plus à m'inquiéter pour toi."

Je n'en pouvais plus. Je ne pouvais tout simplement pas. C'était trop. J'avais l'impression que j'allais exploser si je ne m'éloignais pas d'elle. Je ne pouvais pas être si près d'elle... je ne pouvais pas.

Je me suis retourné et j'ai préparé à m'envoler.

"Tobias. C'est demain, au fait. Ton anniversaire. J'ai demandé à Marco de pirater les dossiers de l'école. C'est demain que tu dois voir l'avocat et Aria. Quoi qu'il se passe là-bas - quoi que tu décides - viens me voir après, d'accord ? Peut-être qu'on pourra avoir un gâteau avec une bougie."

J'ai déployé mes ailes et je me suis envolé.