Pourquoi je suis contre l’égalité des chances ?

Resume
Petite critique de l’égalité des chances
Introduction
Pardonnez-moi, pour ce titre provocateur qui ne reflète pas réellement mon opinion sur le sujet.
En effet, je ne suis pas tant contre l’égalité des chances que contre ses dérives et son instrumentalisation par nos politiques actuelles. Mais, pour en parler, il faut d’abord que l’on se mette d’accord sur ce qu’est l’égalité des chances.
Qu'est-ce que l’égalité des chances ?
Pour moi, l'égalité des chances a principalement deux sens :
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D’abord, dans un sens faible, elle signifie attribuer des places dans une société selon une règle qui s’applique de la même manière à tout le monde. Très concrètement, ça veut principalement dire que l’obtention d’un métier ou l’acceptation dans une formation se fera uniquement sur la base des compétences du candidat ou sur la réussite à un concours. E
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Mais dans un sens fort, elle désigne quasiment son contraire. En effet, dans un sens fort, elle désigne le fait que notre réussite ne dépende que de nos efforts. C’est-à-dire que l’on ne va pas prendre le candidat qui a les meilleures compétences ou qui a eu les meilleurs résultats au concours, mais celui qui a fourni le plus d’efforts.
Concrètement cela se traduit par le fait de donner des avantages aux catégories dont on sait qu’ils sont défavorisés.
Par exemple on sait que les fils de riches reçoivent de leur parent une éducation qui leur rend plus facile les concours aux grandes écoles. C’est-à-dire que toutes choses égales par ailleurs, un fils de riches aura de meilleurs résultats aux concours tout en travaillant moins.
Pour compenser cela, certaines écoles comme Sciences Po facilitent le concours pour les candidats d’origine modeste. Cette politique est justifiée par l’égalité des chances, mais bien sûr, ce n’est pas la seule motivation. Parmi les motivations, il y a aussi que pour obtenir la paix sociale, il faut que les enfants des classes populaires aient l’espoir de pouvoir s’élever socialement par l’école (aussi illusoire soit cet espoir). Et, aussi qu’un peu de sang neuf ayant connu autre chose que les beaux quartiers apportent beaucoup d’efficacité à l’état.
Mais je m’égare. Revenons au sujet. Que se soit dans son sens fort ou dans son sens faible, le but de l’égalité des chances est de faire en sorte que la réussite professionnelle d’une personne ne dépende pas :
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Du pistonnages. C’est-à-dire que la réussite professionnelle d’une personne ne devrait pas dépendre de ses relations ou de celle de sa famille. Ce qui est amusant lorsque l’on voit la mise en avant du réseautage par des entrepreneurs libéraux qui n’ont que l’égalité des chances et la méritocratie à la bouche. Bien sûr, ils se défendront en disant que ce qu’ils désignent par ce terme, c'est la réputation professionnelle bâtie par ses efforts au cours de sa carrière (ou autre version compatible avec l’égalité des chances). Mais, dans en pratique, ça prend souvent la forme davantage indu obtenue grâce à un entre-soi d’homme blanc et riche (je sais que tu es incompétent, mais tu m’as rendu service et si je ne te rends pas l’appareil, ça se saurait et nuira à ma place dans le groupe, donc je te prends quand même)
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De discrimination (des femmes, des Arabes, des noires, des LGBTQIA+,… )
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De barrière matérielle artificielle. C’est-à-dire que par exemple, la réussite aux concours doit être aussi difficile pour le fils de prof qui as une chambre pour lui tout seul et des profs particuliers que pour le fils d’ouvrier qui doit partager sa chambre avec son petit frère qui crie toutes les 5 minutes : 3,2,1 hyper vitesse en espérant qu’un dinosaure va finir par sortir de sa #$@% de toupie Beyblade.
Les partisans du sens fort et du sens faible de l’égalité des chances ont donc ont le même objectif, mais pas les mêmes moyens.
En effet, pour les partisans de l’égalité des chances au sens faible, pour que le fils de prof ait les mêmes chances de réussites scolaires que le fils d’ouvrier, il suffit de leur donner tous les deux accès aux concours. Et pour que les noirs aient, les mêmes chances que les blancs lors des recrutements, il suffit de s’assurer que lors des recrutements, les DRH ne choisissent pas en fonction de critères racistes. Pour eux, s’il subsiste des inégalités, c'est soit qu’en secret les DRH utilisent des critères raciaux, soit qu’il y a des différences entre noir et blanc qui justifient cette inégalité de traitement. C’est pourquoi, assez paradoxalement, les partisans de cette égalité des chances ont une tendance à tomber dans des formes de racisme bienveillant.
En revanche, pour les partisans de l’égalité des chances au sens fort, pour que le fils de prof ait les mêmes chances de réussites scolaires que le fils d’ouvrier, il faut donner davantage de cours au fils d’ouvrier ou lui faciliter le concours. Et, pour supprimer les inégalités à l’embauche entre noir et blanc, il faut créer des quotas (ou adopter d'autres solutions accordant un avantage aux noirs).
Personnellement, je pense que ce sont les partisans de l’égalité des chances au sens fort qui ont raison. Cependant, même si je pense que c’est un combat utile, comme le titre de cet article l’indique, je pense que le combat pour l’égalité des chances est une erreur. Ou plutôt qu’on lui accorde trop d’importance.
Problème avec l’égalité des chances
En effet, la plupart du temps, on considère que l’égalité des chances est une bonne chose, mais on se demande rarement pourquoi. C’est considéré comme quelque chose allant de soi. Et, il y a de bonnes raisons pour cela.
En effet, instinctivement, on va ressentir un profond sentiment d’injustice à l’idée que l’on ne peut pas devenir chanteur parce que l’on est fils de poissonnier. Que les meilleures places sont déjà prises par les fils de notables et que l’on devra se contenter de rêves à notre portée.
Et, pas besoin non plus besoin de réfléchir dix ans pour comprendre la perte de compétence que représente pour la société le fait de ne pas profiter des talents naissants au mauvais endroit. Et, c'est bien parce que je le reconnais que je ne suis pas contre l’égalité des chances.
Cependant, si l’objectif est l’efficacité, alors à trop poursuivre l’égalité des chances, alors on fait plus de bien que de mal. En effet, ça peut paraître injuste (et ça l’est), mais à cause d’un mélange de raison sociale et biologique, les enfants sont programmés pour imiter leur parent.
Obtenir un bon cadre à partir d’un fils de médecin ou d’un fils de prof demandera beaucoup moins d’investissements qu’à partir d’un fils de chaudronnier. Et, même s’il y arrive, il sera en général moins bon (en général). Et inversement, un fils de prof aura beaucoup plus de mal à deviner un fils de chaudronnier (car contrairement à l’image que l’on en a, c'est un métier très technique demande de grandes compétences intellectuelles). Bien sûr, comme déjà dit, même si on ne s’intéresse qu’à l’efficacité, il faut veiller à permettre aux plus motivés d’intégrer des domaines très éloignés de celui de leur parent.
Mais, pourquoi vouloir à tout prix gommer les avantages acquis grâce à la naissance ?
Et surtout, pourquoi uniquement dans certaines professions ? Car j’ai fait l’ingénue en parlant des chaudronniers, mais bizarrement j’ai rarement vu des mouvements se battant pour l’égalité d’accès aux métiers de chaudronnier (alors qu’à ce qui parait, c'est un métier très intéressant et relativement bien payé en ce moment)
Et, si l’objectif c’est le bonheur ou la justice, alors on va arriver plus ou moins au même question. Est-ce que le manque d’égalité des chances est vraiment le principal générateur d’injustice dans notre société ? Est-ce qu’améliorer l’égalité des chances est vraiment le principal levier dont on dispose pour être heureux ? Pour moi, dans la plupart des cas, on est plus heureux en restant dans le milieu social où l’on a grandi, et donc en faisant un travail proche de ses parents (je dis bien dans la plupart des cas). D’ailleurs, les témoignages des transfuges de classe le montrent bien. Par conséquent, dans la plupart des cas, plus d’égalité des chances n’augmente pas énormément notre bonheur. Dans ce cas, pourquoi est-ce que l’on se focalise autant là-dessus ?
En un mot : est-ce que la place de l’égalité des chances dans le débat public est proportionnelle à l’amélioration qu’elle pourrait nous apporter ? Et si non pourquoi cette différence ?
Pour moi, la réponse est simple : si on soutient l’égalité, autant l’égalité des chances, c'est pour ne pas avoir à remettre en question l’inégalité des places. Et cela, alors que c’est la première cause d’injustice et de malheur dans notre société.
L’injustice qui nous étripe le plus la gorge, ce n’est pas que les femmes soient incitées à devenir prof de maternelle et les hommes prof de lycée. Que les fils de pauvres aient des facilités à devenir éboueur et les fils de riches à devenir ingénieur. Ce qui nous a rendu malheureux à l’école, ce n’est pas qu’Antoine de la Fistiniére ait des bonnes notes sans travailler, alors que nous on arrivait même pas à comprendre l’intitulé de l’exercice même en y passant des heures. Ce qui nous a rendu malheureux, c'est la compétition scolaire dans laquelle on a été plongé de force et les humiliations qu’on y a subies en son nom (alors qu’à la base l’école devait être un endroit agréable qui donne à tous un égal accès au savoir).
Ce qui nous révolte, c'est qu’il y en ait qui gagnent beaucoup plus que d’autres. Ce qui nous révolte, c'est que le prestige et la reconnaissance que l’on reçoit semble totalement décorrélé de l’utilité et de la difficulté de son travail. Ce qui nous révolte, c'est que certains se tuent à la tâche pour recevoir des miettes, alors que d'autres travailleurs ont des conditions de travail et des salaires mirobolants. Et, je ne parle même pas des parasites qui concentrent pouvoir et richesse sans avoir jamais rien fait d’autre dans leur vie qu’hériter (là, je parle de nos chers oligarques comme Bolloré, Dassault, Bernard Arnault…).
Mais, celle qui est tout simplement inacceptable, c'est de savoir que l’on léguera cette situation à nos enfants. Que rien ne changera jamais et qu’il n’y a aucun espoir d’amélioration collective ou individuelle. Et, c'est là qu’intervient l’égalité des chances. La défendre permet de ne pas remettre en cause ses inégalités tout en offrant une illusion d’espoir qu’individuellement, il serra possible de s’en sortir. Et en plus, elle masque le caractère fondamentalement arbitraire de cette inégalité en lui donnant un semblant de justification.
Or moi, je ne vois pas en quoi on devrait accepter qu’une personne soit mal payée pour son travail ou contrainte de supporter de mauvaises conditions de travail toute sa vie sous prétexte qu’elle était mauvaise en math quand elle avait 12 ans.
Je ne comprends pas, pourquoi est-ce que le travail d’ingénieur devrait être plus valorisé que celui d’ouvrier? Les deux sont tout aussi indispensables l’un que l’autre et bien que différemment, les deux sont tout aussi durs. Ils mériteraient donc le même respect et la même rémunérationAttention, je ne dis pas que tout le monde doit être payé et considéré de la même manière. L’ingénieur avec 30 ans d’expérience, expert d’un domaine, ne doit évidemment pas être payé et reconnu de la même manière que le junior qui sait à peine comment tenir un balai.
Et, l'ouvrier toujours volontaire pour remplacer un collègue malade, qui fait régulièrement des heures supplémentaires et met une bonne ambiance dans l’équipe, doit être davantage récompensé et valorisé que le tir au flanc qui passe son temps à se plaindre. Je ne dis pas qu’il n’y aucun critère légitime pour différencier la reconnaissance (qu’elle soit symbolique ou financière).
Ce que je dis, c'est que le type de poste que l’on occupe (manager/employé, médecin/infirmier, ingénieur/ouvrier) ne devrait pas faire partie de ces critères. Seule devrait compter l’implication, le talent, l’expérience, la dureté du travail (et d'autre critère que j’oublie probablement).
Par contre, tout le monde, quelles que soient ses compétences ou ses performances, devraient être traités avec respect et tous les postes impliquant de mettre en danger la santé physique ou mentale de ceux qui les effectuent devraient être supprimés.
D’accord, il y a des exceptions comme le métier de soldat, de pompier ou d’égoutier qui sont indispensables et où c'est impossible. Mais, dans ces rares cas, on devrait leur accorder des avantages comme le droit de partir précocement en retraite qui compense le risque pris. Et, tout faire pour réduire au maximum le risque pris (pour les soldats, j'ai une idée : ne pas faire la guerre).
Conclusion
Mais, arrêtons cette digression pour revenir au sujet de départ, à savoir : Le combat pour l’égalité des chances, bien que positif (la plupart du temps on est loin d’avoir trop d’égalité des chances) est largement surcoté. En effet, seule une faible part des malheurs et des injustices de notre société peuvent être résolus par plus d’égalité des chances.
Pire parfois il sert carrément à justifier, l’injustifiable et à donner une apparence de justice à la transformation de l’école (voir de toute la société) en un gigantesque battle royale dont le prix est un diplôme vous garantissant une sécurité et un confort qui devrait (et pourrait) être la norme pour tous.
Sans compter que la compétition scolaire de plus en plus rude et de plus en plus précoce au sein d’un enseignement de plus en plus vide de sens provoque bien plus d’abrutissements et de souffrance que n’importe quel smartphone.
Je pense donc qu’il est grand temps que les forces progressistes mettent davantage en avant la seule lutte qui compte : la lutte pour l’égalité des places. La lutte pour l’égale dignité de tous.
On ne veut pas des règles équitables lors de la compétition pour l’accès aux meilleurs postes. On veut la fin de la compétition et que tous les postes soient valorisés de la même manière.
Le cas particulier des femmes
On pourrait être tenté d’appliquer mes arguments pour minimiser l’importance des combats féministes (et d’autres combats dits sociétaux). Et, dans une certaine mesure, c'est une bonne idée que ne se sont pas privés d’embrasser certains pans du féminisme.
En effet, plutôt que de vouloir que les femmes fassent les mêmes tâches que les hommes, pourquoi ne pas plutôt payer les tâches effectuées par les femmes de la même manière que celle effectuée par les hommes?
Lorsque l’on se pose la question on s'aperçoit que l’on devrait même les payer davantage, car les tâches effectuées par les femmes sont bien souvent plus importantes pour la société que les tâches effectuées par les hommes.
Les enfants sont l'avenir de la nation, notre seul espoir d’un monde meilleur, alors pourquoi considère-t-on que les élever devrait être gratuit et fait en plus d’un travail normal ? Pourquoi est-ce que la prof de maternelle ou de primaire qui leur apprend le vivre ensemble et à avoir des manières civilisées devrait être moins bien payée que le prof qui leur apprendra à résoudre des équations du second degré ?
Il me semble pourtant que le premier est vachement plus difficile et plus important ?
Pourquoi est-ce que les femmes de ménage et les mères de famille qui permettent que l’on vive dans un environnement suffisamment propre pour que l’on ne tombe pas malade sont-elles payées moins cher que le médecin qui nous soignera si on tombe malade ?
La première me semble pourtant au moins aussi important que le second.
A minima, même si pour une raison ou une autre, il n’est pas possible (ou souhaitable) de les payer autant, on devrait au moins leur donner la même reconnaissance symbolique (voire plus).
Cependant, ce raisonnement trouve ses limites dans le fait que beaucoup de femmes n’ont aucune envie d’être assignées à ces tâches ménagères et maternelles. Contrairement aux fils de classe populaires qui se verrait bien faire le même métier que leur parent (si ça n’impliquait pas de subir la précarité et de détruire leur santé à cause de mauvaise condition de travail) la plupart des femmes aimeraient bien partager avec d’autres le fardeau des tâches ménagères, de l’éducation des enfants, du soin aux personnes âgées pour se concentrer davantage sur leur premier travail (ou tout simplement avoir un truc qui s’appelle des loisirs).
Si on appliquait l’égalité des places, une partie de ces contraintes pesant sur les femmes disparaîtrait, mais pas toutes. Il me semble donc important de ne pas accepter cette inégalité-là et de continuer à lutter pour que les hommes et les femmes fassent davantage les mêmes taches.
Sur le sujet du féminisme, je vous conseille le blog : Emma .
Source :
Voici des sources pour aller plus loin sur ce sujet ou vérifier les faits mentionnés dans ce billet de blog.
insee.fr-reproduction des inegalites entre generations
Parcours professionnels : le poids des origines sociales
Transfuges de classe à des postes de direction : dépasser les codes et préjugés
Reconnaissance de l’utilité des métiers à dominante féminine et transformation sociale
F.Dubet Les places et les chances
inegalite des chances en france en 5 chiffres cles