Les milliardaires, sont-ils compatibles avec la démocratie

Resume
Un billet pour expliquer pourquoi je pense que tant qu’on n'aura pas aboli les milliardaires, il n’y aura pas davantage de démocratie en France.
Introduction
Depuis des années, dans le débat public, on parle énormément de sixième république, de RIC, de tirage au sort, …. Bref de rendre l’état d’avantage démocratique.
C’est une évolution que je trouve extrêmement positive, cependant, je pense que l’on se trompe partiellement d’objectif. Ce qu’il faut viser, ce n’est pas un État démocratique, mais une société démocratique. Or, pour moi, pour obtenir cela, il va aussi falloir sortir du capitalisme libéral.
Pour démocratiser la société, il faut remettre en cause le pouvoir des milliardaires
En effet, dans une société capitaliste libérale, l’essentiel des décisions ne sont pas prises par l’État, mais par les entreprises. Or, dans une société capitaliste libérale, les entreprises ne sont pas des démocraties, mais de petite aristocratie dirigée par une dizaine de grands actionnaires (et dans le quotidien, on pourrait même parler de monarchie).
Il en résulte que dans la plupart des cas, le pouvoir de décider n’est pas entre les mains des dirigeants de l’État, mais entre les mains d’une poignée de milliardaires qui possède l’essentiel des entreprises du monde.
Par exemple, la centaine de milliardaires qui dirige et possède la totalité des fabricants automobiles sont les seuls à pouvoir décider, si on va ou non passer au véhicule électrique. Et quoiqu'ils décident, leur choix s’imposera à la société et ne sera pas neutre politiquement parlant. Passer au véhicule électrique est tout autant un choix politique que de rester au véhicule thermique.
Et c’est valable pour toutes les décisions que prennent les milliardaires. Quand Zuckerberg décide de mettre en place un fack-checking sur Facebook, c’est un acte politiquement lourd de sens et de conséquence. Lorsqu’il le supprime, c’est également un acte politique. Lorsque les grands groupes pétroliers décident d’investir une part de leur profit dans les énergies renouvelables, c’est politique et quand ils ne le font pas, c’est également politique.
En conclusion, dans une société capitaliste libérale, seule une petite classe d’ultra-riches peut décider ce que l’on produit et de comment on le produit. Or, ce sont justement ces décisions qui affectent le plus nos vies et qui préoccupent le plus les citoyens de la plupart des pays du monde. Donc, pour moi, si on veut une société démocratique, il faut sortir du capitalisme libéral.
Ce sont bien les milliardaires et non les consommateurs qui dirige l’économie
L’objection classique, c’est que leurs décisions ne sont pas motivées par des considérations idéologiques, mais par la satisfaction des consommateurs.
En effet, depuis Adam Smith (même s’il n’a jamais voulu dire ça), on considère que la principale motivation des acteurs économiques est la cupidité et que dans un système de marché libre pour conserver ou étendre leur richesse, les milliardaires sont obligés de satisfaire les envies des consommateurs.
S’ils ne le font pas, un concurrent apparaîtra pour le faire à leur place et leur prendra leur part de marché. En conséquence, celui qui aurait le vrai pouvoir de décision, ce ne seraient pas les milliardaires, mais les consommateurs.
Si, en plus, on croit que nos systèmes sont méritocratiques, le capitalisme serait une démocratie où le droit de vote serait proportionnel aux revenus, qui lui-même serait proportionnel à notre contribution à la production. Donc un système où les producteurs dirigent démocratiquement la production.
C’est presque aussi beau que l’international. Malheureusement, on peut tous constater dans notre vie de tous les jours à quel point chacun des présupposés de ce raisonnement sont faux.
Dans la suite de ce billet, je vais reprendre chacun de ses présupposés et expliquer en quoi de mon point de vue, ils sont faux.
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Les milliardaires (et plus généralement les humains) ne sont pas uniquement, et même principalement, motivés par la soif d’argent ou de pouvoir.
Par exemple, si ce qui motivait Jeff Bezos était la soif d’argent ou de pouvoir, ses investissements dans Blue-origine seraient incompréhensibles. Au moment où il l’a fait le couple rendement espéré/risque du new-space était très mauvais.
Pareille pour Musk, lorsqu’il a investi dans Tesla et Space X dans les années 2000. Et, quoiqu'en disent les complotistes, si Bill Gates voulait accroître son pouvoir ou sa fortune, il aurait bien mieux à faire que d’investir dans les vaccins et le technosolutionnisme agricole en Afrique. Et Bolloré gagnerait bien plus d’argent et d’influence politique s’il arrêtait de faire la promotion des idées d’extrême droite.
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Pour accroître leur fortune et leur pouvoir, dans bien des cas, satisfaire les envies des consommateurs n’est pas la meilleure solution.
Étant informaticien, les exemples qui me viennent immédiatement en tête proviennent de l’informatique. Par exemple, beaucoup de gens l’ont oublié, mais à l’origine, Skype était un service fondé sur une architecture P2P (peer to peer) décentralisée et distribuée. Mais, il a été racheté par Microsoft qui a immédiatement décidé d’en faire un service totalement centralisé. Cela a bien entendu provoqué une hausse des coûts de maintenance de l’application et une dégradation du service. Et, quand ils ont pris cette décision, ils le savaient (les avantages et les inconvénients d’une architecture décentralisée ou centralisée sont un basique l’informatique). Il savait que si à la base Skype avait fait le choix d’une infrastructure décentralisée, c’était parce qu’elle permettait de réduire les coûts sans dégrader la qualité de services (et même en l’améliorant étant donné la qualité médiocre des connexions internet de l’époque).
Cependant, Microsoft a fait ce choix, car cela lui permettait d’avoir un contrôle total sur le fonctionnement de l’application et de s’accaparer les données personnelles de ses utilisateurs. Le modèle économique initial de Skype était rentable, mais pas autant que des modèles qui nécessitaient de dégrader la qualité du service. Comme le disait l’un de mes profs en école d’ingénieur : le bon niveau de qualité, c’est celui qui maximise la marge bénéficiaire. En conséquence, les étagères de nos supermarchés sont remplies de produits absolument merdiques, alors que faire des produits de meilleure qualité n’aurait pas demandé davantage de travail ou de ressources (voire en aurait coûté moins). Et, on pourrait aussi critiquer la non prise en compte par les mécanismes de marché des externalités négatives ou des effets à long terme d’une décision, mais cela nous entraînerait trop loin.
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De plus, même si satisfaire les envies des consommateurs était la meilleure solution pour gagner de l’argent et s’il était uniquement motivé par le profit, les décisions prisent ne seraient toujours pas celle dans l’intérêt des consommateurs, car contrairement à une croyance répandue, le capitalisme libéral est l’un des systèmes où il y a le moins de liberté effective d’entreprendre.
En effet, le capitalisme libéral entraîne au bout de quelques décennies d’application la concertation entre les mains d’un petit nombre de milliardaires de l’essentiel de la richesse d’un pays. Or, pour entreprendre à une échelle industrielle, il faut beaucoup de capitaux. Donc, dans un pays où les capitaux, sont concentrés entre les mains de quelques milliardaires, seules, eux ont les moyens effectifs de créer une entreprise industrielle. En conséquence, si pour une raison ou une autre, les milliardaires sont tous d’accord qu’il ne faut pas se lancer dans une entreprise, alors elle ne sera jamais créée, et cela, quoi qu’en pense le reste de la population.
Et comme ils ne sont qu’un petit nombre et qu’ils vivent dans un entre-soi permanent, il y a plein de sujets sur lesquels un consensus s’est développé au sein de leur petit groupe. Et, ce consensus correspond rarement à la réalité telle qu’elle est vécue par le reste de la population. Le mythe de la grande entreprise née dans un garage n’est que ça : un mythe. Les GAFAM sont tous nés lors d’une réunion entre investisseur et porteur de projet, dans une salle feutrée d’une grande banque d’affaires. Par exemple, Musk n’aurait jamais pu créer TESLA si des milliardaires ou des gestionnaires de fonds de pension n’avaient pas déversé 20-30 milliards de dollars sur 10 ans.
Je passe rapidement sur les deux derniers présupposés tant il est évident qu’ils sont faux.
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Tout d’abord, nos sociétés sont très peu méritocratiques. En effet, il est évident que si Bernant Arnaud est plus riche que sa femme de ménage, ce n’est pas parce qu’il travaille plus ou parce qu’il contribue davantage à la société. Il est évident que le marché libre ne récompense pas les individus en fonction de leur mérite ou de leur contribution effective à la société, mais en fonction de leur race, de leur sexe, de leur classe sociale d’origine, de leur capacité à se soumettre aux ordres avec le sourire (aussi appelé ‘savoir-être’ dans le langage managérial) et de manière minoritaire de la quantité de travail qu’ils fournissent (je dis bien la quantité et non la qualité).
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Et comme on l’a tous expérimenté au cours de nos vies, nos achats ne reflètent en rien nos convictions profondes sur ce qui devrait être produit et sur comment il devrait être produit. La plupart du temps, on achète ce que l’on peut ou ce que l’on doit. Et, encore, faut-il que l’on ait eu la possibilité de développer une conviction informée sur ces sujets.
La démocratie, ce n’est pas le vote, mais l’émergence d’un consensus informé à travers le débat. Tout seuls dans leur coin, la plupart des consommateurs sont bien incapables de savoir si un véhicule électrique est écologique ou non. Ou si le bio, c’est vraiment mieux pour l’environnement que le conventionnel.
4)Conclusion et digression
Je reviens donc à ma conclusion initiale : si on veut une société démocratique, il faut sortir du capitalisme libéral.
Et la bonne nouvelle, c’est qu’il existe une tonne de systèmes alternatifs. Certain que l’on a déjà essayé et d’autres non.
Par exemple, on peut exproprier les milliardaires et redistribuer leur richesse, afin que personne n’ait plus de 10 millions d’euros. Si on y rajoute un impôt sur l’héritage de 100% au-delà de 10 millions d’euros et zéro en dessous afin que le capital ne se reconcentre plus jamais entre quelques mains, on aura durablement un capitalisme de petit propriétaire.
Ou alors déclarer que ce ne sont plus les milliardaires, mais les salariés qui dirigent les entreprises (ou plus modestement que les salariés codirigent les grandes entreprises comme c’est le cas actuellement en Allemagne). On aura alors un capitalisme de collectiviser.
Ou alors tenter de mettre en place le système théorisé par des intellectuels comme Bernart Friot que j’appelle personnellement le néo-communisme.
Petite digression, j’appelle son système néo-communiste en analogie au néo-libéralisme, car pour moi, le néo-libéralisme a été une révision du libéralisme classique pour répondre à l’échec qu’a été l’implémentation du libéralisme en occident (il a mené à la guerre, à la crise de 29 et au fascisme) qui s’est nourris des critiques des marxistes, des découvertes des sciences humain et des pratiques contraires à l’idéologie libérale classique qui se sont malgré tout révélé extrêmement efficace pour se rapprocher des objectifs des libéraux. Or, le système proposé par Friot me semble être une révision des idées marxiste pour répondre aux échecs des tentatives d’implémentation du communisme classique, qui s’est nourri des critiques des libéraux et des pratiques contraires à l’idéologie communiste classique qui se sont malgré tout révélé extrêmement efficace pour se rapprocher des objectifs des communistes.
Par exemple avant la Seconde Guerre mondiale la CGT et le partit communiste étaient contre le principe d’une sécurité sociale centralisé et y préférait l’obligation par les employeurs d’abondé de petite mutuelle local géré démocratiquement par les ouvriers, car ils avaient peur que l’état ou les patrons s’empare de la direction d’une Sécurité sociale centralisée(ils n’avaient pas tort). Et pourtant après la Seconde Guerre mondiale, ce sont bien les communistes qui créeront la sécurité sociale, car c’était le seul moyen qu’ils avaient d’atteindre leurs objectifs sociaux, sans froisser les membres non-communisme du gouvernement d’après-guerre (et aussi parcequ’il n’avait pas anticipé qu’un coup d’État militaire mettrait un terme au parlementarisme en France moins de 15 ans plus tard). Et aujourd’hui Bernard Friot en a fait le modèle de comment une économie communiste devrait être organisée.
Autre exemple, les communiste-classique veulent supprimer la concurrence, le marché et la libre-entreprise, alors que les néo-communistes n’ont rien contre eux. Au contraire, ils disent que leur système permettra de créer une société d’entrepreneur.
Mais fermons cette digression et concluons ce billet de blog en résumant le message que j’ai voulu faire passer : Si on veut une société démocratique, il ne suffit pas de démocratiser l’état, il faut également démocratiser la gestion de l’économie. Pour cela, des tonnes de solutions existent et beaucoup n’ont rien d’extrémiste ou d’utopiste. Certaines ont même été partiellement expérimentées avec succès pendant des décennies par de grands pays.
PS : si vous voulez un argumentaire plus fourni sur le problème que pose l’existence des milliardaires dans une société se voulant démocratique, je vous recommande cette vidéo de Philoxime dont j’ai allégrement re-pompé le nom :Les milliardaires, compatibles avec la démocratie? (ft. @Osonscauser)