Le blog de Serpentfou

Mes fictions et mes opinions dont tout le monde se fout

🇫🇷 Français

Comment être pacifique à l’ère de la guerre en Ukraine ?

Icône de l’article

Resume

À mon grand désarroi, depuis le début de la guerre en Ukraine, la gauche française se vautre soit dans un bellicisme écœurant (notamment au PS et chez EELV), soit dans un soutien mal assumé au régime fasciste de Poutine.

Comme d’habitude à gauche, seul le NPA semble avoir une approche raisonnée de la situation. Cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec eux, loin de là, mais au moins ils font l’effort d’utiliser leur cerveau avant de donner leur avis.

Bon, en vrai, je critique, mais en fait, à leur place, je ferais beaucoup moins bien. En effet, il est très difficile de se construire un avis sur le sujet tant on est noyé par la propagande de guerre des deux camps. Et eux, contrairement à moi, doivent immédiatement donner un avis, en plus à l’oral et en tenant compte des contraintes électorales et de ce qu'ils pensent être l'avis de leurs électeurs (ah, les élections, c'est tellement génial).

Malgré mon manque de compétence sur le sujet, comme je ne retrouvais mon avis nulle part et que l'on a grand besoin que davantage de personnes fassent la promotion de solutions pacifiques et réalistes au conflit, j'ai écrit cet article de blog.

Introduction

Je suppose que tout comme moi, depuis quelque temps, vous êtes bombardé d’informations sur la guerre en Ukraine et que vous commencez à en avoir marre. Que ce soit dans la presse mainstream ou dans les médias indépendants, on parle en permanence de la guerre en Ukraine. Résultat : après être devenus des experts en épidémiologie, puis en gestion du réseau électrique européen, puis sur le réchauffement climatique, la plupart des blogueurs et autres influenceurs sont devenus experts en géopolitique.

Mais comment leur jeter la pierre tant les événements que nous sommes en train de vivre semblent historiques. Cette semaine, qui a vu s’enchaîner le discours de J.D. Vance à la conférence de Munich et l’humiliation publique de Zelensky par Trump (même si pour moi, ce sont plutôt les USA qui ont été humiliés par Trump lors de cette séquence), rentrera probablement dans les livres d’histoire européens comme le début d’un bouleversement complet des alliances qui assuraient la sécurité et la prospérité de l’Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bouleversement qui entraînera probablement à son tour des changements économiques et politiques profonds de l'Union européenne et de ses États membres.

Aussi exaspérant que cela puisse être, il est donc normal et même souhaitable que l’on en parle en long, en large et en travers et que chacun donne son avis.

Cependant, jusqu’à présent, je pensais me taire sur ce sujet et cela pour deux raisons. La première, c’est que jusqu’à très récemment, je n’avais pas grand-chose d’original à dire sur le sujet. La deuxième, c’est que malgré ma boulimie récente d’opinions et d’informations parfois contradictoires sur cette guerre, je ne savais pas quoi en penser et quelle position soutenir. En effet, même si je me sentais plus proche de ceux soutenant l’Ukraine inconditionnellement, défendre cette position me faisait ressentir un malaise que je ne m’expliquais pas. Malaise exacerbé lorsque j’écoutais les arguments des autoproclamés « pacifiques » qui, même s’ils ne me convainquaient pas, me faisaient sérieusement douter (et qui en plus sont pour une bonne partie de mon camp politique).

En effet, je ne savais pas trop quoi répondre à leurs arguments phares qui sont :

Poutine et la Russie ne vont pas disparaître comme par magie, il faudra bien un jour négocier la paix avec eux et, à part des milliers de morts en plus, qu’est-ce que l’on peut bien espérer en prolongeant cette guerre ? À part un lent et meurtrier grignotage du territoire ukrainien par la Russie, que peut-on espérer de la poursuite de cette guerre ? Quelles sont les chances que plus d’armes et de temps permettent de bouleverser le rapport de force ? Et surtout, à quel moment considérera-t-on que le rapport de force est suffisamment en notre faveur pour enfin commencer à négocier ? Est-ce que les gains territoriaux que l’Ukraine pourrait arracher à la Russie, si elle négociait dans une position plus confortable méritent vraiment de sacrifier autant d’hommes ? Et d’ailleurs, est-ce que les Ukrainiens sont vraiment d’accord avec ça ou est-ce qu’ils sont juste trompés par des années de propagande de guerre qui font passer les Russes pour des monstres qu’ils ne sont pas (mais qui n’est pas dur à avaler étant donné les exactions commises par la Russie contre les Ukrainiens durant cette guerre).

Et puis récemment, j’ai eu le déclic. J’ai compris ce qui me dérangeait et j’ai forgé une opinion que je pense originale sur ce conflit et j’ai donc décidé de la partager.

Mais pour parler du futur de l’Ukraine, il va falloir brièvement faire un détour par son passé et ma vision des relations internationales. Et à l’occasion, je vais faire un mea-culpa. Ma position sur les origines du conflit a, jusqu’à très récemment, été celle propagée par la propagande russe et relayée (entre autre) par la France Insoumise (et les médias qui lui sont proches).

Ma vision des relations internationales

En effet, pour moi et plus généralement pour une grande partie de la gauche altermondialiste, que ce soit au niveau national ou international, le monde est composé de différents groupes aux frontières changeantes qui défendent leurs intérêts par tous les moyens à leur disposition.

Autrement dit, contrairement à la vision propagée par beaucoup de médias et de géopoliticiens, pour moi, le monde n’est pas organisé en peuples culturellement homogènes qui s’organisent et agissent sur la scène internationale selon des valeurs et des visions du monde qui leur sont propres et qui changent très lentement (voire pas du tout). Pour moi, au contraire, les peuples sont divisés en de multiples groupes sociaux qui ont des cultures, des visions du monde et des intérêts très différents.

Pour moi, ce qui motive les États, ce n’est pas la défense de valeurs ou des façons de faire intrinsèques à la culture de leur peuple, mais la défense des intérêts du groupe social qui contrôle l’État. Ou plutôt d’un compromis entre les intérêts de plusieurs groupes sociaux au sein de cet État (car en général, il n’existe pas un groupe suffisamment nombreux ou puissant pour imposer ses volontés à tous les autres).

Pour être plus clair, prenons un exemple. Pour moi, ce qui a motivé la France à intervenir en Libye pour renverser Kadhafi, ce n’est pas la défense de valeurs humanistes ou des droits de l’homme. Ce qui a motivé cette intervention, c’est que les groupes sociaux les plus influents en France y trouvaient leur intérêt ou y étaient indifférents. Par exemple, les dirigeants et actionnaires de grands groupes français comme Total se sentaient menacés par les velléités de renationalisation du pétrole libyen par Kadhafi (source : mouammar-kadhafi-menace-de-nationaliser-les-entreprises-petrolieres-travaillant-en-libye ). Et des politiciens comme Sarkozy voyaient dans la guerre un bon moyen d’obtenir du prestige militaire et de focaliser le débat public sur autre chose que la crise économique (et de se débarrasser d’un personnage gênant).

Si au contraire le gouvernement libyen avait mené une politique très favorable aux grands groupes français et s'ils avaient eu peur que son remplaçant soit moins accommodant, pour moi, on aurait traité la répression des révoltes en Libye comme on a traité celles en Égypte ou comme on a traité la guerre au Yémen. C’est-à-dire qu’on en aurait peu parlé dans les médias. Ou alors comme d’une boucherie lointaine et regrettable, mais qui ne nous concerne pas et auxquelles on n'a aucun moyen de s’opposer. En bref, comme une affaire interne à la Libye. Et au passage, on aurait profité du conflit pour essayer de vendre des armes à Kadhafi.

Pour conclure cette digression, pour moi, il n’existe pas d’État moral ou pacifique. Il existe juste des propagandes qui le font croire et plus rarement des États dirigés par des groupes qui ont (temporairement) intérêt à une politique morale ou pacifique.

Ma vision de l’histoire récente de l’Ukraine

Et la guerre en Ukraine dans tout ça ?

Eh bien, pour moi, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Ukraine a été traitée par la Russie comme une colonie. C’est-à-dire que dans l’URSS, les Ukrainiens étaient traités comme des citoyens de seconde zone. Ce qui implique, entre autres choses, que l’essentiel de la richesse produite par les Ukrainiens était accaparé par des Russes, que les postes de pouvoir étaient en grande partie réservés à des Russes et qu’au quotidien les Ukrainiens subissaient des brimades de la part du pouvoir russe (comme une répression de la langue ukrainienne).

Et cela, non pas parce que les Russes étaient méchants, mais parce que les dirigeants de l’URSS et une bonne partie des Russes considéraient que c’était dans leur intérêt. À la chute de l’URSS, la relation entre la Russie et l’Ukraine est devenue semblable à celle entre la France et ses anciennes colonies. C’est-à-dire que sur le papier l’Ukraine était devenue indépendante, mais dans les faits la Russie usait de divers moyens pour imposer en Ukraine des dirigeants favorables aux intérêts russes (ou plutôt à l’intérêt des dirigeants de la Russie). Et quand, pour une raison ou une autre, les élites dirigeantes ukrainiennes allaient à l’encontre de l’intérêt russe, le gouvernement russe prenait des mesures de représailles pour les forcer à revenir dans le droit chemin.

Et encore une fois, tous les États font pareil. La France et les USA font la même chose partout où ils le peuvent. Et en parlant des Occidentaux, cette situation déplaisait à beaucoup de gens. Tout d’abord, elle déplaisait à la plupart des Ukrainiens, car les dirigeants imposés par la Russie étaient corrompus, incompétents et pas tendres envers ceux qui osaient exprimer des opinions contraires. Mais surtout, elle déplaisait beaucoup aux dirigeants occidentaux qui trouvaient très désagréable de voir les entreprises russes rafler systématiquement des marchés ou des contrats très lucratifs (entre autres choses, les motivations des puissants ne sont pas qu’économiques). En conséquence, pendant des années, l’Occident a soutenu les groupes d’opposition pro-occidentaux. Oui, c’est de l’ingérence identique à celle dont on accuse aujourd’hui Musk, et pour moi ce n’est ni exceptionnel ni mal lorsque ça ne dépasse pas certaines limites (comme la livraison d’armes à des groupes d’opposition violents) et que les groupes promus ne sont pas d’extrême droite (et oui, les USA ont régulièrement soutenu des mouvements rebelles d’extrême droite comme les talibans en Afghanistan dans les années 80).

Ensuite, quand une révolte a éclaté en Ukraine, l’Occident l’a soutenue de toutes ses forces. Sans que l’on puisse déterminer si le soutien de l’Occident à ces révoltes a joué ou non un rôle, la population ukrainienne s'est massivement ralliée à ce mouvement de colère et ainsi la révolte s’est transformée en révolution qui a porté au pouvoir des groupes soutenus par l’Occident (car c’étaient eux les mieux organisés et financés). Ces groupes ont ensuite cherché à stabiliser leur pouvoir en trouvant un équilibre entre satisfaire les demandes de l’Occident, démocratiser le pays, lutter contre la corruption, enrichir les Ukrainiens (en priorité les plus puissants) et répondre aux demandes sociales des Ukrainiens afin de créer une base sociale qui soutienne le nouveau régime. En gros, même si cette révolution n’était pas le grand soir, c’était une amélioration des conditions de vie de la plupart des Ukrainiens. En soutenant la révolution en Ukraine, pour une fois, la position des États occidentaux était plutôt bien alignée sur les valeurs qu’ils prétendent défendre.

En revanche, ce changement n’a pas du tout plu à la Russie. En réponse, elle a envoyé son armée tenter de remettre son vassal sur le droit chemin. Elle a très facilement repris le contrôle de la Crimée. Cependant, dans les autres régions, l’armée russe a dû faire face à une forte résistance ukrainienne et Poutine a dû accepter qu’il ne pourrait pas reprendre le reste du territoire ukrainien sans sacrifier énormément d’hommes, de temps, d’argent et de prestige. Et inversement, les Occidentaux ne pouvaient espérer que l’Ukraine reconquière militairement ses territoires perdus à la Russie. Il y a donc eu des négociations entre les gouvernements russe, occidentaux et ukrainien qui ont abouti aux accords de Minsk, qui consistent en gros à dire que la Russie peut garder la Crimée et que l’Ukraine va devenir un État fédéral divisé entre une partie Est, sous influence russe, et une partie Ouest sous influence ukrainienne. En échange, la Russie promet de respecter les frontières ukrainiennes et de retirer ses troupes de la zone.

La Russie n’a pas signé cela par gentillesse ou respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais parce que cela lui permettait de sécuriser ses gains et qu’une guerre trop longue aurait été coûteuse et aurait mis à mal ses relations commerciales avec l’Allemagne (et les dirigeants russes ont besoin de l’argent que leur rapporte le commerce de gaz avec l’Allemagne pour se maintenir au pouvoir). Et inversement, les Occidentaux ont signé cet accord, car cela permettait aux Occidentaux de sécuriser leurs gains et que la poursuite de la guerre leur aurait également coûté très cher (avec en plus de fortes chances de perdre). Quant au gouvernement ukrainien, ce n’était pas le deal dont il rêvait, mais il n’avait pas d’autre choix que de l’accepter.

Huit ans passèrent où l’Ukraine profita de la paix pour panser ses blessures et profiter des faibles et fragiles acquis de sa révolution. Cependant, les accords de Minsk ne furent pas respectés. Il n’y eut aucun désarmement de l’Ukraine et aucune réforme vers davantage d’autonomie des régions de l’est de l’Ukraine.

Au contraire, durant ces huit ans, Kiev tenta de raffermir son emprise sur l’ouest, réprima les minorités russophones perçues comme des partisans de la Russie et pas de vrais citoyens ukrainiens. Mais surtout, elle a commencé à se réarmer, a cultivé ses liens avec les USA et essaie de rentrer dans l’OTAN (ce qui est vu par Moscou comme une menace importante pour sa sécurité et une ligne rouge à ne pas dépasser). En conséquence, après plusieurs ultimatums où elle a exigé le respect des accords de Minsk et des garanties que l’Ukraine ne rejoigne jamais l’OTAN, la Russie, dont l’armée avait considérablement gagné en puissance et qui était persuadée qu’une grande partie des Ukrainiens n’était pas radicalement opposée à revenir dans le giron russe, décida d’envahir l’Ukraine, persuadée que la guerre serait tellement rapide que les Occidentaux n’auraient pas le temps de protester. Cependant, la Russie a grandement surestimé la puissance de son armée et sous-estimé l’attachement des Ukrainiens à leur indépendance récemment acquise.

La suite, vous la connaissez. Voyant là une opportunité en or d’accroître son influence en Europe, d’affaiblir la Russie et d’éliminer un rival sur le marché du gaz, les USA ont massivement soutenu l’Ukraine et forcé leurs alliés à en faire de même. Et au passage, avec l’Angleterre, ils auraient saboté les négociations de paix qui ont eu lieu quelques mois après le début du conflit et qui étaient sur le point d’aboutir à un accord entre l’Ukraine et la Russie (honnêtement, cette partie-là, je n’ai jamais su si je devais y croire ou non).

Si on croit à cette vision du conflit, alors la Russie n’est pas plus une menace pour l’Europe que les USA ou la Chine. Si on croit à cette version de l’histoire, alors la responsabilité de cette guerre incombe autant à la Russie qui a déclaré la guerre, qu’à l’Occident et à l’Ukraine qui l’a poussée à cette décision. De la même manière que c’est à la fois personne et tout le monde qui est responsable de la Première Guerre mondiale (et pas seulement le premier pays à avoir déclaré la guerre), c’est à la fois personne et tout le monde qui est responsable de la guerre en Ukraine.

Cependant, le camp dont les revendications semblent les plus légitimes et raisonnables semble être celui de la Russie, et la marche à suivre pour nous Français semble être d’exiger un cessez-le-feu immédiat sous peine d’arrêter d’envoyer des armes à l’Ukraine (encore une fois, si on est d’accord avec cette version de l’histoire). Puis de négocier la paix avec un Poutine qui n’est pas plus monstrueux, irraisonnable ou indigne de confiance que n’importe quel autre dirigeant de grande puissance.

À ma décharge, il faut noter que l’explication alternative promue par les médias mainstream d’une Russie nazie qui considère depuis toujours qu’elle va disparaître si elle n’augmente pas son espace vital en envahissant tous ses voisins pour en faire des colonies (et qui donc n’acceptera jamais de négocier la paix avec ses voisins puisque la conquête est un enjeu existentiel pour elle), n’est pas très crédible.

Déjà parce que cela semble impensable que le gouvernement d’un grand pays comme la Russie pense comme cela, mais surtout parce que dans les années précédant la guerre en Ukraine, la Russie n’avait rien d’un État ultra-nationaliste ou opposé à l’Occident. Je rappelle que jusqu’en 2014, la Russie collaborait étroitement avec l’OTAN, au point que des groupes de gauche et d’ultra-nationalistes russes ont manifesté à Moscou pour dénoncer l’aide et la collaboration trop importante de la Russie avec l’OTAN (source : russians-protest-plan-for-nato ).

Et puis ses discours ressembleraient étrangement à la propagande russe bas de gamme d’une Ukraine qu’il faudrait dénazifier pour assurer la sécurité. Cependant, j’avais oublié que, contrairement à la fiction, la réalité n’a pas besoin d’être crédible.

Quant aux cris d’indignation poussés par nos dirigeants contre la Russie, parce qu’elle tente de renverser un gouvernement démocratiquement élu ou qu’elle s’oppose aux droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, ils sont juste pitoyablement ridicules tant leur hypocrisie est flagrante pour qui a un tout petit peu de mémoire. Déjà, parce que l’Ukraine n’est pas plus une démocratie que la France (car aussi bizarre que cela puisse paraître aux éditorialistes et autres propagandistes, la démocratie et la dictature ne sont pas les seuls régimes qui existent, et tenter d’intégrer au forceps la France dans les régimes démocratiques alors que l’on n’est même pas un régime parlementaire fait qu’on se demande si on vit vraiment sur la même planète). Mais surtout parce que les États occidentaux violent régulièrement la souveraineté des autres États, les décisions de l’ONU et les traités internationaux qu’ils ont signés.

Bon, d’accord, je caricature un peu (beaucoup), mais je ne suis pas si loin que ça de la vérité. Pour avoir une présentation un peu plus honnête (et beaucoup moins drôle) de la position mainstream sur les origines du conflit et les motivations de la Russie, je vous encourage à écouter ce podcast récent du Collimateur (émission que j’aime beaucoup) : Que négocie-t-on avec Vladimir Poutine ?  

Un changement dans la méta : la montée du fascisme

Cependant, les récents événements m'ont fait comprendre que la montée de l’extrême droite rend ce modèle obsolète. En effet, si vous suivez l’actualité, vous n’aurez sans doute pas manqué de remarquer que ce raisonnement est en totale contradiction avec ce que disent les officiels russes. En effet, si on s’intéresse à ce que disent ou écrivent les responsables russes, on se rend compte que la thèse des médias mainstream d’une Russie nazifiée pour qui la conquête de ses voisins est un enjeu vital n’est pas sans fondement.

Jusqu’à présent, je balayais cette objection en mettant ces discours en parallèle de ceux de Sarkozy, Attal, Retailleau ou Darmanin. Eux aussi, si on prend au premier degré ce qu’ils disent, on est obligé d’en conclure que ce sont des nazis qui ne seraient pas contre un bon génocide. Cependant, lorsqu’on compare leurs actes et leurs paroles, on est bien obligé d’admettre que même si ce sont de sacrés #*$@ (ce n’est pas une injure, mais le terme technique pour désigner ce type d’irresponsables politiques), ce ne sont pas des nazis. Ce sont juste des démagogues prêts à tout pour que l’on parle d’eux dans les médias, car ils sont persuadés (et à raison selon moi) que le meilleur moyen de faire carrière en politique est d’être omniprésent dans les médias.

Eh bien, je pensais que ces outrances de la part de responsables russes et même de Poutine n’étaient que ça : des outrances. Pour moi, il était juste impensable qu’ils puissent réellement croire en de telles conneries, qu’on puisse à un tel niveau de responsabilité être tellement déconnecté de la réalité et de la logique la plus élémentaire. Surtout que, je le répète, dans les années 2000, Poutine avait mené une politique tout à fait conventionnelle et à des kilomètres de l’ultranationalisme qu’il prône aujourd’hui.

Cependant, le début du mandat de Trump me force à revoir ma copie. Aussi aberrant que cela puisse paraître, certains profèrent ces discours avec sincérité et ils se trouvent une masse d’abrutis pour les suivre. Encore une fois, ce n’est pas une insulte, mais le terme technique à utiliser pour désigner ces abrutis (là, par contre, c’était une insulte). Et en Europe, on n’est pas en reste.

Lorsque j’étais étudiant, il y a plus de 10 ans maintenant, je discutais régulièrement avec un doctorant venu de Chine. Un jour où l’actualité tournait autour des tensions entre la Chine et le Japon pour la souveraineté sur des îles inhabitées et des pêcheurs qui avaient l’outrecuidance de ne pas se soucier de la ligne invisible qui sépare les eaux chinoises et japonaises, il m’a dit que la Chine devait s’armer et être ferme pour ne pas se retrouver envahie et asservie par le Japon. Ce jour-là, je n’ai rien dit, mais je trouvais particulièrement absurde l’idée qu’un petit pays vieillissant et faiblement armé de 180 millions d’habitants comme le Japon puisse menacer un géant nucléarisé de 1,4 milliard d’habitants comme la Chine. Mais aujourd’hui, je constate que les 500 millions d’Européens ne parlent que de s’armer massivement pour résister à la terrible menace que représentent les 140 millions de Russes.

Alors oui, bien sûr, c’est positif que l’Europe fasse enfin des efforts pour devenir indépendante des USA (surtout avec Trump au pouvoir) et que l’on se coordonne davantage. Cependant, même en supposant que la Russie voudrait nous attaquer, comment peut-on sérieusement penser qu’elle pourrait le faire ? Outre le fait que la population russe est l’une des plus vieillissantes d’Europe et qu’elle a déjà perdu une bonne partie de sa jeunesse apte à servir en Ukraine, il y a surtout le fait que même en 2025, son budget militaire est près de trois fois inférieur à celui cumulé des pays membres de l’UE (source : consilium.europa.eu et 130-milliards-d-euros-la-russie-prevoit-un-budget-militaire-record-pour-2025 ), alors que, contrairement à la Russie, l’UE est en paix et que la plupart de ses États membres consacrent très peu de ressources à leur armée. Conclusion la disproportion des forces est juste trop importante pour que l’on puisse rationnellement se sentir menacé (sauf si on considère le nombre de têtes nucléaires russes, mais ça, c’est un sujet un peu à part). Qu’est-ce que cela va changer si on passe d’un budget militaire trois fois supérieur à celui de la Russie à un budget cinq fois supérieur ? À partir de quel multiple est-ce que l’on se sentira enfin en sécurité ?

Bien sûr, au début, je me suis dit que, comme la plupart des déclarations des dirigeants européens, il ne s’agissait que de paroles en l’air. Que de bruit qui ne méritait pas de retenir notre attention. Mais en fait, il semble que ce coup-ci, ils soient totalement sérieux. Ils pensent vraiment que l’une des priorités de l’UE est de s’armer davantage.

Pour nos dirigeants, ce qui renforce le plus la sécurité et la souveraineté de l’UE, n’est pas de faire une transition énergétique la plus rapide possible afin de ne plus être dépendants du gaz ou du pétrole russe, saoudien et américain (et donc de financer la guerre en Ukraine par nos achats de gaz ou le fondamentalisme islamique par nos achats de pétrole).

Pour nos dirigeants, ce qui permet de lutter contre la menace fasciste, ce n’est pas de soumettre les riches au même taux d’imposition que les classes moyennes afin que l’on puisse financer des politiques sociales ambitieuses et remettre sur pied nos services publics.

Pour eux, ce qui est le plus utile, c’est d’avoir encore plus d’armes. Question : si les 300 ogives nucléaires françaises ne suffisent pas à nous garantir notre sécurité, alors à quoi servent-elles ? Combien en faudrait-il pour que notre dissuasion nucléaire soit enfin efficace ?

Donc, partout autour de moi, j’observe que des discours militaristes complètement délirants montent et qu’en plus, ils proviennent de gens qui, jusqu’à présent, étaient totalement opposés à ce genre de discours et avaient même soutenu les baisses des budgets militaires décidées par Hollande afin de pouvoir davantage arroser les milliardaires d’argent public et de baisses d’impôts (ce n’était guère réjouissant comme politique, mais je préférais). Du coup, je commence à penser qu’il est envisageable que les discours similaires provenant de la Russie soient à prendre au premier degré et que le régime russe a bel et bien basculé dans l’ultranationalisme.

Surtout que j’ai récemment découvert qu’il existait une version alternative de l’histoire récente de l’Ukraine plutôt crédible, disant que les accords de Minsk sont inapplicables et que tous les signataires le savaient. Je ne vais pas m’étendre sur les détails, mais cela détruit le narratif russe que j’ai exposé précédemment d’une Russie qui avait des demandes raisonnables en échange de la non-invasion de l’Ukraine.

Ce qui fait qu’aussi suicidaire et fou que cela puisse paraître, il est bien possible que dans les années à venir, la Russie déclare la guerre à un pays membre de l’UE ou inversement qu’un pays membre de l’UE déclare la guerre à la Russie (il faut bien qu’elles servent, toutes ces armes, et je ne crois pas que nos dirigeants soient plus vertueux ou pacifiques que ceux des Russes).

Et cette perspective me terrorise. Au point que mon premier réflexe a été de me dire qu’égoïstement, la politique actuelle de nos dirigeants était un moindre mal. Après tout, plus on fournira d’armes à l’Ukraine, plus la guerre se prolongera et plus l’armée russe sera affaiblie lorsque viendra le jour de l'affrontement final. Et plus nos budgets militaires auront été élevés, plus le risque que les civils tels que moi en subissent des désagréments sera faible (à condition que cette augmentation des budgets militaires ne serve pas d'excuse pour de nouvelles politiques d'austérité). Une position très rufiniste (ce qui prouve que c’est une mauvaise position).

Une solution : la dissuasion civile non violente

Puis comme souvent, je me suis ennuyé au travail et me suis mis à scroller les réseaux sociaux et j'ai découvert ce site : Mouvement pour une alternative non-violente et notamment ce document Une dissuasion civile non-violente . Et j'ai compris qu'il y avait une alternative.

Avant de poursuivre la lecture de ce billet, je vous enjoins à lire ce document sur la dissuasion civile non violente, car je ne vais pas prendre la peine d'en résumer le contenu.

Ensuite, je vous préviens tout de suite que je ne suis pas d'accord avec eux sur le fait que la dissuasion civile pourrait remplacer la dissuasion militaire. La dissuasion civile pourrait effectivement empêcher un État dirigé par la droite classique de nous attaquer, mais elle est totalement inefficace pour faire face à la violence irrationnelle des fascistes.

Les fascistes se fichent qu'une guerre ne soit pas rentable. Pour eux, l'existence de l'autre est une menace existentielle et ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour le soumettre et l'éliminer. Et aucun des garanties de sécurité qu'on leur donne ne les fera changer d'avis (la seule chose qui les fait reculer, c'est la force brute).

Cependant, pour moi, si elle était mise en place, cette dissuasion civile non violente serait une révolution bien plus importante que ne pourra jamais être l'IA dont on parle tant. Si la population française disposait massivement d'outils de communication décentralisés, d'une formation à la résistance non violente, d'un réseau associatif fort qui fait que les gens se connaissent et se parlent, et d'une certaine autonomie pour satisfaire localement leurs besoins fondamentaux comme l'énergie et la nourriture, alors on pourrait enfin retrouver la possibilité d'imposer nos désirs à nos gouvernements. Et notamment, on pourrait leur imposer de mener de vraies politiques sociales et antifascistes. On pourrait faire de la France une vraie démocratie.

Et en voyant ce modèle s'imposer en France, nous serions rapidement imités par d'autres pays. En bref, cela pourrait totalement bouleverser le monde et faire reculer énormément le fascisme et la menace de la guerre. Au point que l'on se retrouverait peut-être dans un monde où il deviendra possible d'envisager des réformes permettant effectivement de se passer d'institutions violentes et oppressantes comme l'armée, la police et la prison (ou pas, comment savoir).

Et le mieux dans tout ça, c'est que l'on n'a pas forcément besoin de l'État pour le mettre en place (même si cela aiderait grandement, il ne faut pas se le cacher). Il suffit "juste" (avec de gros guillemets) que l'on rejoigne massivement des associations existantes, que l'on se forme massivement à la non-violence et que l'on répande ses savoirs autour de nous et que l'on abandonne les réseaux sociaux propriétaires au profit d'outils libres comme Mastodon ou Matrix.

Bon, je devrais peut-être tempérer mon enthousiasme, car cela n'a rien d'une solution facile à mettre en place, mais elle donne de l'espoir et en ce moment, c'est ce dont on a le plus besoin.

Ma position sur l’Ukraine

Cependant, c'est une solution de long terme encore bien chimérique, mais la guerre en Ukraine est un problème concret et immédiat sur lequel il faut bien se positionner (aussi futile cela soit-il étant donné que je le rappelle, on n'est pas en démocratie et que par conséquent mon opinion ou la vôtre n'a aucune influence sur le cours des événements).

Voilà donc ma position : pour moi, l'objectif de nos dirigeants devrait être d'obtenir le plus rapidement possible un cessez-le-feu. Et j’espère me tromper, mais je pense que le gouvernement russe va refuser la proposition de Trump. Je crains en effet qu'il n'accepte un cessez-le-feu que s'il a la démonstration que les Ukrainiens peuvent continuer la guerre encore plusieurs années, même sans l'aide des USA. C'est-à-dire que les Européens peuvent et vont se substituer aux USA (comme ils l'ont fait durant presque une année entière sous l'administration Biden). Pour cela, je pense qu'il est nécessaire de temporairement augmenter les budgets militaires européens.

Puis une fois un cessez-le-feu enfin obtenu, la seule issue possible me semble être un scénario à la Nord-Coréenne. C'est-à-dire de renoncer à obtenir un traité de paix, mais que le front soit gelé et le cessez-le-feu garanti par le déploiement sur place de soldats étrangers (de l’UE et si possible d'une autre grande puissance comme la Chine et les USA). Puis attendre en espérant que le temps et un changement de régime à l'est ou à l'ouest permettent un jour de trouver une solution finale.

En effet, à moins de continuer la guerre jusqu'à ce qu'un vainqueur ne se dégage (ce qui peut prendre plusieurs années et ferait beaucoup de morts inutiles), aucun des deux camps ne semble prêt à céder à l'autre la souveraineté sur l'est de l'Ukraine. Or, c'est une condition nécessaire à l'établissement d'un traité de paix.

Mais bon, c'est l'avis d'un pélo random qui n'a aucune compétence particulière. Il y a donc de grandes chances que mon avis soit à côté de la plaque et si je n'avais pas eu envie d'écrire un article de blog, pour faire à mon petit niveau la publicité de la dissuasion civile non violente, je me serais probablement abstenu de le donner.

Néanmoins, comme vous l'aurez sans doute noté, sur ce sujet, je suis totalement opposé à la position de la France Insoumise et bien plus proche de celle de Macron (même si on est en désaccord sur la nécessité d'augmenter les budgets militaires sur le long terme). Et il n'y a pas que sur ça que la position de la FI ne me convient pas.

Par exemple, même si je ne suis pas sûr d'y être favorable, je trouve absurdes les arguments de la FI pour s'opposer à étendre la dissuasion nucléaire française aux autres États de l'UE. Et je suis totalement défavorable au rétablissement du service militaire présent dans leur programme.

En fait, plus j'en apprends sur la position de politique étrangère de la France Insoumise, plus je me rends compte que sur ce sujet, on n'est pas du tout sur la même ligne. Je continue malgré tout de soutenir ce parti, car sur la plupart des sujets, il est le plus proche de mes idées (planification écologique, assemblée constituante, Palestine, augmentation des impôts sur les plus riches, etc.) et que tous les autres me donnent envie de vomir.

Note de fin

Remarque : Si après lecture vous trouvez que mon avis n’a rien d’original, alors c’est une bonne nouvelle et je vous serais reconnaissant de me le signaler par mail. Si vous n’êtes pas d’accord, alors je serais encore plus heureux. Que vous m’envoyiez un mail pour qu’on en discute. Encore une fois, je n’ai aucune compétence ni dans le domaine militaire ni dans la géopolitique, mais je suis désireux d’apprendre.

Remarque 2 : J’ai hésité à inclure un debunkage des mensonges du Kremlin qui tourne le plus (y compris dans les milieux de gauche) comme Zelenski est un nazi (c’est vrai qu’à gauche on a tendance à traiter tout le monde de nazi) ou les russes n’ont jamais perdu une guerre (sérieux, comment peut-on sortir du lycée sans connaître l’issue de la guerre d’Afghanistan, de la guerre russo-finlandaise ou de la guerre russo-japonaise pour ne citer que les plus connues des défaites russes), mais j’y ai renoncé par fainéantise et manque de source fiable facile à trouver.

Remarque 3 : Dans mes billets de blog, je profite du fait que personne ne me lit (ou si peu) pour utiliser un ton qui, pour être poli, est très polémique. Je le fais parce que cela me fait rire et me défoule de décrire ainsi, mais ce n’est pas une manière de parler aux gens ni même de les considérer. À part les opinions de l’extrême droite, les autres opinions sont totalement respectables. Si un jour, par miracle, ce blog avait du succès, je remplacerais cet article par une version plus édulcorée (dans sa forme mais pas dans son fond).

Liens utiles

Pour aller plus loin et vous aider à trouver les inévitables erreurs qui se sont glissées dans ce texte, voici des sources que je trouve de qualité sur ce conflit (je préviens, je n’ai pas eu le temps de toutes les lires en entier avant d’écrire ce blog, mais elles m’ont été utiles pour vérifier que je ne disais pas trop de bêtises) :

Global Conflict Tracker :Le Global Conflict Tracker du Council on Foreign Relations offre une vue d'ensemble interactive du conflit en Ukraine depuis 2014, incluant les derniers développements et l'implication de la Russie et des États-Unis. C'est une ressource précieuse pour comprendre les dynamiques actuelles du conflit et les propositions de cessez-le-feu.

Ukraine Conflict Monitor :L'Ukraine Conflict Monitor de ACLED fournit des informations en temps réel sur la guerre, y compris une carte interactive des événements depuis le début de l'invasion russe. Cela peut être utile pour suivre les développements récents et les tendances de la violence politique.

Council on Foreign Relations :Un article du Council on Foreign Relations explore comment le conflit en Ukraine est devenu un point central des relations internationales, avec des analyses sur l'invasion de 2022 et ses implications pour la sécurité européenne.

Institute for the Study of War :Les mises à jour de l'Institute for the Study of War fournissent des informations détaillées sur les opérations militaires et les développements stratégiques dans le conflit, y compris les déploiements de troupes et les négociations de cessez-le-feu.

CSIS Analysis : Un rapport du Center for Strategic and International Studies examine les échecs analytiques qui ont conduit à l'invasion russe de l'Ukraine, offrant des perspectives sur les erreurs de jugement et les implications politiques.